Cahier de Lucien Dodin père, page 31

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une foule considérable - joué la Marseillaise - bataillon scolaire - Ces dix sociétés - la sérénité qui convient

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Libéral de la Vendée mercredi 21 mai 1890

LE FESTIVAL DE CHALLANS

Challans était, dimanche, en fête, et une foule considérable, venue de tous les environs, a assisté au Festival organisé par l'Orphéon et la Lyre Challandaise, sous la présidence de M. Ch. Batuaud. Disons, tout d'abord, que l'entrain de la population a été magnifique et qu'il faut l'en remercier hautement. Si l'on a cherché à la désintéresser de cette superbe fête, on a du être fort désappointé, mais le succès doit rendre généreux, et la gaîté générale n'a pas permis de distinguer les visages renfrognés de quelques-uns : qu'ils se consolent entre eux !

M. le Préfet de la Vendée, accompagné de M. le Sous-Préfet des Sables est arrivé par le train de 10 h. 1/2. Une affluence considérable l'attendait à la gare. Les musiques des Lucs, de Pornic, de Paimbeuf et de Challans, attendaient sur le quai et ont joué la Marseillaise au moment où M. Louvel est descendu de wagon. Les sapeurs-pompiers, la Commission de l'hospice, la Société de secours mutuels ayant à sa tête M. Herbert, étaient là également. Le bataillon scolaire, sous la conduite de M. Billet, présentait les armes, et des acclamations très nourries retentissaient de tous côtés. Nous remarquons : M. Guisthau, conseiller d'arrondisse ment de l'Ile-d'Yeu ; M. Dodin, conseiller municipal de Challans; M. Batuaud, conseiller municipal d'Apremont; M. Raynaud, maire de Saint-Gilles ; M. Chabiron, directeur de l'Orphéon; M. Renaud, M. Rousselot, M. Mornet, M. Minotière, M. Legros, M. Cagé, M. Bot, receveur des postes; M. Marotte, M. Clément Cantin, M. Laurent, M. Normand, directeur de la Lyre; M. Laprée, M. Gaspard, lieu tenant de gendarmerie ; M. Chaillou, M. Séguineau, instituteur et beaucoup de ses collègues, et une foule d'autres personnes qui nous excuseront de ne pouvoir toutes les citer.

M. le Prefet serre la main des personnes qui lui sont présentées, et passe devant le bataillon scolaire. En quelques mots, il remercie du chaleureux accueil qui lui est fait, et le cortège se forme, musiques en tête et bannières déployées. M. Louvel et les personnes qui l'accompagnent sont conduites à la Coursaudière, la belle propriété de M. C. Batuaud, en passant par la grande rue de Challans. Partout, on voit que la population s'est mise en frais. Des drapeaux, des oriflammes flottent joyeusement au vent; aux fenêtres on remarque les préparatifs des illuminations du soir, et de nombreux cris de Vive la République ! Vive le Préfet, retentissent sur le passage du cortège. La grande rue est plantée de mâts reliés par des guirlandes de lanternes vénitiennes. Sur le champ de foire, M. Petit Desmaison met la dernière main à son feu d'artifice, et sur la place, deux estrades joliment ornées sont dressées ; l'une est prête à recevoir les musiques qui prendront part au Festival de l'après-midi, l'autre destinée aux personnes invitées par la Commission d'organisation.

M. le Préfet a déjeuné chez M. C. Batuaud, mais, auparavant, M. Billet a fait exécuter à son bataillon scolaire quelques exercices de maniement d'armes, et M. Louvel, qui tient à être agréable aux pupilles de la République, leur a donné un jour de congé, dont leurs maîtres profiteront pour aller voir le Concours régional de la Roche. En quelques mots d'une simplicité charmante, M. Louvel a félicité les enfants, puis, comme ils criaient Vive le Préfet, « Non, a-t-il dit, c'est vive la République qu'il faut crier ! » ce qui a été fait avec enthousiasme. On s'est mis ensuite à table.

A ce déjeuner, dont Madame Batuaud mère et son fils ont fait les honneurs avec une grande affabilité, assistaient une dizaine de personnes, dont nous sommes certainement les interprêtes en remerciant les maîtres de maison de leur hospitalité vraiment cordiale et exquise. Le rendez-vous des Sociétés était fixé à une heure, et M. C. Batuaud, qui tenait à remplir tous ses devoirs de Président, a laissé ses convives pour se mettre à la tête du défilé.

Dix sociétés musicales se sont présentées au rendez-vous. La fanfare de l'école laïque de Paimbæuf dont l'uniforme en coutil blanc attire tous les regards; la Société philharmonique de Saint-Gilles-sur-Vie, l'Orphéon de Beauvoir, la Fanfare de Beauvoir, le Cercle philharmonique de Noirmoutier, la Fanfare des enfants de Saint Jean-de-Monts, la Fanfare des Lucs, la Fanfare pornicaise, l'Orphéon de Challans et la Lyre challandaise,

Ces dix sociétés parcourent les principales rues de Challans, au milieu d'une foule qui devient de plus en plus compacte, d'une foule très sympathique et très gaie. Quand les sociétés sont passées devant la Coursaudière, M. le Préfet et les convives se sont levés de table et sont allés les saluer.

A ce moment, une députation d'instituteurs, conduits par M. l'Inspecteur primaire des Sables, a demandé à être introduite auprès de M. le Préfet, qui l'a reçue avec sa bienveillance habituelle.

Pendant tout le parcours du défilé, les sociétés avaient été accueillies par des bravos, et, à 2 heures et demie, elles étaient rendues sur la place. M. le préfet prend place sur l'estrade réservée. Il a à sa gauche M. Guisthau et à sa droite M. Dodin et M. C. Batuaud. L'estrade ne tarde pas à être envahie par des dames de Challans et un certain nombre d'invités, et deux petites filles offrent un très beau bouquet à M. le Préfet, qui les embrasse.

Les sociétés se rangent autour de la seconde estrade sur laquelle s'est placé M. Normand, l'excellent directeur de la Lyre challandaise. Celui ci lève son bâton et toutes les musiques jouent Liberatrix, marche de Mullot. A tour de rôle, chaque société vient ensuite prendre place sur l'estrade et exécute un morceau dans l'ordre suivant :

La Muse des Troubadours, fantaisie par la Lyre Challandaise. - Les Noces de Jeannette, fantaisie par la Fanfare de l'Ecole de Paimbæuf. - Le Sommeil de Diane, fantaisie par la Fanfare Pornicaise. - Les Maçons, chœur par les Orphéons de Beauvoir et de Challans. - Les Vagues de l'Océan, fantaisie par la Fanfare de Saint-Gilles. – Colette et Colas, polka par la Fanfare de Beauvoir. – Les Bords de la Saône, ouverture par le Cercle philharmonique de Noirmoutier. - France et Gaule, chœur par les Orphéons de Beauvoir et de Challans. - La Muette de Portici, fantaisie par la Fanfare de Saint-Jean-de-Monts. - Les Gloires de la France, fantaisie par la Fanfare des Lucs, - Marche Française, pas redoublé par toutes les Sociétés instrumentales.

Nous faisons nos compliments à toutes les sociétés, et, en particulier, aux Orphéons de Challans et de Beauvoir, à la fanfare de Paimbeuf, à la société de St-Gilles et à la Lyre. Les orphéons ont des ténors qui dominent un peu trop, mais des basses excellentes et un ensemble très nourri. Celui de Challans n'est formé que depuis dix-huit mois, et les résultats obtenus font honneur à son chef M. Chabiron. Pendant l'exécution de ces divers morceaux, la foule n'a cessé d'applaudir, et la place, ainsi que les rues avoisinantes, étaient noires de monde. Le temps, qui avait été menaçant dans la matinée, s'était mis résolument au beau, en sorte que tout était à souhait. Chaque chef, après l'exécution du morceau, a été présenté à M. le Préfet, qui, en lui adressant des éloges mérités, lui remettait une superbe médaille commémorative en vermeil.

En attendant l'heure du banquet, on s'est rendu au Cercle républicain qui a fait à tous un cordial accueil. A six heures, à six heures et demie même, on prenait place dans la salle du banquet. Cette salle est très originale. Elle a été formée au moyen d'une immense tente qui se dresse au-dessus d'une cour de l'Ecole laïque, et dont les mâts du milieu sont ornés de gigantesques faisceaux de drapeaux. Au fond, la table d'honneur; cinq autres tables lui sont perpendiculaires. Derrière la place occupée par M. le préfet, un buste de la République se dresse sur un socle enguirlandé. Partout des drapeaux qui tombent le long des murs, et rien n'est pittoresque comme cette profusion de bandes tricolores. Cette décoration fait le plus grand honneur à ses organisateurs.

Devant M. le préfet, on a placé une magnifique corbeille de fleurs qui a été offerte, le matin, à M. Batuaud.

Mais, une journée si bien remplie autorisait à avoir bon appétit, et on s'est empressé de faire honneur au menu, fort bien exécuté. Le service a été également très bien fait, nous nous en voudrions de ne pas le reconnaître.

A l'heure des toasts, M. C. Batuaud s'est levé le premier et a remercié M. le Préfet de sa présence, I ainsi que M. Guisthau et M. Narquet. Après lui, M. le docteur Dodin, dans un très vigoureux discours, a esquissé la situation politique dans le marais de Challans, et affirmé son espoir en l'avenir : à M. le Préfet de la Vendée, il a surtout demandé de donner satisfaction aux légitimes besoins de la contrée et, en même temps, d'être énergique ; aux républicains de Challans, il a parlé de l'organisation républicaine, de l'organisation nécessaire pour entamer une lutte sérieuse, et préconisé la formation d'un comité républicain. D'unanimes applaudissements ont salué MM. C. Batuaud et Dodin : celui-ci boit à la santé de M. Louvel.

M. le Préfet a pris ensuite la parole, et nous regrettons fort de ne pouvoir donner son discours in extenso. Avec un très grand bonheur d'expression, M. Louvel a défini ce que devait être la politique républicaine. Energique, certes, il le sera, on peut y compter, mais aussi et par dessus tout, juste. La République est le gouvernement définitif, indiscutable, et elle doit avoir la sérénité qui convient. Elle doit surtout s'occuper des intérêts en souffrance, et, à ce titre, M. Louvel touche quelques mots des intérêts plus spéciaux de la région. Il ajoute qu'il faut s'occuper particulièrement des intérêts des petits, organiser l'assistance dans les campagnes, développer l'association, faire de la saine et bonne démocratie. C'est au milieu des applaudissements les plus nourris que M. le Préfet lève son verre en l'honneur de M. le Président de la République.

M. Guisthau prononce ensuite une charmante allocution, pleine d'esprit et d'humour, aussi juste par le fond qu'élégante par la forme, qui lui conquiert toute la salle. Il insiste sur les travaux du chemin de fer de Challans à Fromentine, et porte la santé du docteur Dodin. Ce sont de véritables acclamations qui saluent sa péroraison.

M. Narquet, notre rédacteur en chef, remercie ensuite M. Batuaud et les organisateurs de la fête, et se déclare bien coupable de n'être pas venu plus tôt à Challans. On a calomnié évidemment le célèbre marais, mais il y avait des symptômes qui auraient dû l'en avertir ; l'élection de l'excellent docteur Dodin en est un. Ceci prouve qu'ici comme ailleurs en Vendée, il ne faut désespérer de rien. C'est à l'organisation républicaine qu'il faut faire appel, et c'est à la créer qu'il faut s'attacher avant tout. En terminant, le rédacteur en chef du Libéral boit à la République.

Mais il était neuf heures. Déjà, la retraite aux flambeaux commençait à circuler dans les rues, accompagnée d'une foule énorme. Challans tout entier s'illuminait et se préparait à assister au feu d'artifice. Il n'était que temps de sortir de la salle du banquet.

C'est sur le champ de foire qu'a été tiré ce feu d'artifice, qui a été, d'ailleurs, très soigné par M. Petit-Desmaison. Le bouquet représentait une lyre, et a été longuement applaudi. On est allé ensuite finir la soirée au Cercle républicain, mais la jeunesse de Challans ne voulait pas aller sitôt dormir. La salle de l'Avenir ne tarda pas à être envahie, et les danses commencèrent pour ne se terminer qu'au jour. Au Cercle, tout en prenant le punch, on chanta en chœur des chansons maraîchines et on fit une ovation à des maraîchins de Sallertaine qui en chantèrent trois tout à fait charmantes. Toute la nuit, on a entendu des chants et de la musique dans Challans : honni soit qui mal y pense!

Tel a été le beau Festival du 18 mai. Il a admirablement réussi et fait le plus grand honneur aux organisateurs, M. C. Batuaud, le dévoué président; M. le docteur Dodin, M. A. Barrau, notre excellent ami et confrère, etc... Il a surtout réussi parce qu'il a été fêté par la très grande majorité de la population et des environs. Jamais, en effet, on n'avait vu autant de maraîchins et de maraîchines à une fête de ce genre qui, nous a-t-on assuré, n'était pas, partout, précisément en odeur de sainteté. Il démontre qu'avec de l'initiative et de la volonté, on peut faire œuvre utile là même où cela paraît le plus difficile.

L. N.

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