Cahier de Lucien Dodin père, page 24

< Cahier de Lucien Dodin père, page 23 | Le cahier électoral de Lucien Dodin Père, index | Cahier de Lucien Dodin père, page 25 >

personnage grossier - polissons - 125 mille francs - garder leur incognito - En échange de la soupe

Ensemble des fac-similé

Le Publicateur dimanche 9 décembre 1888

Nous recevons la lettre suivante :

Challans, le 6 décembre 1888.

Monsieur le Rédacteur,

Le 28 novembre, le Libéral de la Vendée publie une lettre dans laquelle M. le docteur Dodin me traitait de "personnage grossier". A ce moment là je crus ne pas devoir répondre, d'abord parce que les injures ne sont pas des raisons, ensuite parce que la mésaventure récente du susdit docteur excusait un peu la crudité de ses termes.

Mais voilà que nos adversaires ne se contiennent plus. Ne pouvant digérer les plaisanteries que leur à valus leur soupe, ils se livrant à une colère immodérée et franchissent toutes les bornes.

Dans une lettre écrite ces jours-ci à la Vendée Républicaine, « un groupe d'électeurs libéraux, et républicains de Challans (libéral et républicain ne sont donc pas la même chose : halutus confitentem) nous gratifie, nous autres cléricaux, d'une série de qualifications empruntées au vocabulaire des halles.

Deux d'entre nous sont traités de "polissons". Je présume fort que j'ai l'honneur d'être un de ces deux-là. On parle également de nos mains « plus ou moins propres », de nos « sales plumes », de notre style qu'on ne peut lire sans « se boucher le nez de l'ordure (pouah l) que nous ne cessons de « servir » (pas pour mettre dans la soupe de l'hôpital toujours : ce serait pire que les carottes !) etc., etc.

On croirait vraiment, en lisant ces choses, que nous avons commis d'horribles méfaits. Il convient donc de montrer par un exemple que nos adversaires, ces « personnages » bien élevés, ne sont pas plus dignes de foi dans leurs accusations que remplis d'urbanité dans leur language.

Le récit que je vais faire sera ma réplique au correspondant du Libéral.

Le 21 octobre dernier, M. le docteur Dodin, qui se portait candidat républicain au Corneil municipal de notre commune, publia une circulaire où il affirmait en termes précis que, depuis huit années, les membres de ce Conseil avaient endetté la dite commune de 125 mille francs. C'était une grosse erreur. M. Dodin remarquera que je ne me sers pas du mot de « grossière », tout «grossier » que je lui paraisse.

La fortune favorisa l'heureux docteur : il fut élu le lendemain.

Le jour de son installation, je pris la liberté grande (un « trésorier de fabrique », voyez un peu !) de lui demander la preuve de l'affirmation précitée. J'étais d'autant plus en droit d'agir ainsi que lui. même venait de protester contre la circulaire du comité conservateur. Mais l'égalité est pour M. Dodin ce qu'était la vertu pour Brutus : tout simplement un mot.

L'élu du 22 octobre me fit d'abord des réponses évasives. Il déclara qu'il fournirait la preuve ci dessus lors de la discussion du budget (c'est-à-dire dans 6 ou 7 mois : rien que cela !) Bientôt après il me signifia net qu'il n'avait pas de compte à me rendre. Comme j'insistais pour obtenir une preuve immédiate, alléguant mon droit d'accusé, M. le docteur se renferma dans un silence absolu. En vain je lui représentai que le silence était sa condamnation tacite : il persista dans son mutisme.

Je pouvais m'en tenir là. Cependant, comme ce qui abonde ne vicie point, je pris en main le budget et je démontrai sans peine que l'affirmation susdite n'était pas conforme à la vérité. Puis, je tirai la conclusion mentionnée dans le procès-verbal de la séance.

Le disciple d'Hippocrate écouta tout et ne répondit rien. Ce n'était pas fier assurément, et le fameux docteur qui devait à lui seul mettre tout le Conseil à la raison tint dans la circonstance une fâcheuse posture, comme dirait M. Ferry.

Maintenant il essaie de faire croire qu'il n'a pas produit la preuve en question parce qu'il ne voulait pas "répondre à un personnage grossier". Cela est facile à dire ; mais à qui persuadera-t-il que, mis en demeure devant tout le Conseil et même devant plusieurs de ses amis, il eût obstinément refusé cette preuve, s'il l'avait eue réellement à sa disposition ? C'est là une pilule qu'il ne fera avaler à personne, pas même à ceux qui voudront profiter de ses consultations gratuites.

Voilà ce qui m'a valu de la part de M. Dodin la qualification de "personnage grossier".

D'après cet étonnant docteur, c'est être «grossier > que de réclamer la preuve d'une accusation fausse; c'est être poli, au contraire, que de lancer cette accusation d'abord et de ne pas vouloir la prouver ensuite.

A ce compte-là, que M. Dodin garde pour lui sa politesse ; je préfère de beaucoup ma « grossièreté ».

Quant au « groupe d'électeurs libéraux et républicains de Challans » qui a écrit l'épître mentionné ci-dessus, épître dont l'auteur principal se reconnaît tout de suite aux idées entortillées et au style risible qui distinguent le morceau, j'attendrai, pour lui répondre, qu'il daigne me faire savoir si je suis un des « deux polissons » qui ont le malheur de scandaliser sa vertu.

Jusque-là, je me contenterai de faire deux recommandations aux membres de ce "groupe":

1° Qu'ils sondent bien leur conscience, pour s'assurer qu'ils ne sont pas de ces gens possédant l'avantage de distinguer une paille dans l'œil du prochain et de ne pas apercevoir la poutre qui se trouve dans le leur.

2o Qu'ils méditent cette parole d'un orateur de notre époque : « Les injures n'ont de poids qu'à proportion de la hauteur d'où elles tombent. »

Après cela s'ils se donnent la peine de me certifier que je suis un des deux polissons » de leur épître, ils auront le devoir de se faire connaître eux mêmes, pour que je puisse mesurer exactement la hauteur de chacun d'eux.

Je les préviens cependant que dans le cas où il tiendraient beaucoup à garder leur incognito, je leur permettrais de satisfaire ce désir, car dès maintenant je suis à peu près fixé sur le degré d'élévation nos diverses sommités républicaines.

Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur, l'expression de mes sentiments respectueux et dévoués.

L. THIBAULT.

[(1) Lire le compte-rendu de la séance du 21 août au : Conseil général. ]

Le Publicateur 25 novembre 1888

Challans, 25 novembre 1888.

Monsieur le Rédacteur,

Dans le n° du Publicateur à la date de ce jour, je lis la phrase suivante :

« Ce légume (la carotte) en effet fort employé dans la cuisine républicaine. Le mois dernier, par exemple, M. le Dr Dodin en a copieusement assaisonné sa circulaire, et il y a gagné un siège au conseil municipal, cela est vrai; mais il a gagné autre chose avec, car, le jour de son installation, mis en demeure de prouver les allégations de son manifeste, il n'a pu le faire et s'est vu par suite, à la barbe de plusieurs de ses amis présents à la séance, administrer une correction verbale dont je présume qu'il gardera quelque temps le souvenir. »

Cela est signé « un électeur de Challans ».

Voici le compte-rendu de l'incident du conseil municipal rédigé avec la collaboration probable de l'électeur susdit. Je la trouve au registre des délibérations.

Libéral de la mercredi 28 novembre 1888

Séance du 4 novembre 1888,

« M. Dodin se plaint du rôle d'espion qui lui est prêté dans la circulaire du comité conservateur. Il proteste énergiquement contre cette expression.

» Un membre (M. Thibault, trésorier de la fabrique) demande à M. Dodin de prouver l'allégation émise par lui dans sa propre circulaire, à savoir "que depuis 8 années la commune a été endettée de 125 mille francs". M. Dodin déclare qu'il le prouvera ultérieurement.

» Bien qu'on (M. Thibault) fasse observer à M. Dodin que le conseil ne peut rester plus longtemps sous le coup d'une accusation si grave, il persiste à refuser la preuve qui lui est demandée. Un membre (M. Thibault) conclut de ce silence que M Dodin se trouve dans l'impossibilité de prouver son allégation ; qu'il a par conséquent calomnié l'assemblée municipale et trompé les électeurs et demande que cette conclusion soit mentionnée au procès-verbal.

En fait, j'ai simplement refusé de répondre à un personnage grossier.

Je m'inquiète peu d'ordinaire des fanfaronnades anonymes et des insinuations malveillantes publiées dans les journaux religieux, contre mes amis ou moi ; je sais d'où elles partent, mais je ne veux pas laisser croire que je puisse recevoir du sieur Thibault des corrections, même verbales.

Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur, l’expression de mes sentiments dévoués.

Dr L. DODIN,

Le publicateur 25 novembre 1888

La soupe électorale,

On nous écrit de Challans, le 22 novembre 1888 :

Monsieur le Rédacteur,

Chacun sait que les républicains sont passés maitres dans l'art de manipuler le suffrage universel.

Pour faire triompher leur candidature ou celle leurs amis, sans cesse ils inventent des procédés nouveaux .

En voici un qui remonte à quelques jours seulement: je m'empresse de vous le signaler, car suis convaincu qu'il obtiendra le plus grand succés et qu'il fera bouillir toutes les marmites républicaine

C'est... la soupe électorale !!!

Cette invention culinaire d'un genre à part est due (cuique suum) à la majorité de la Commission administrative de l'hôpital de Challans.

Les mauvaises langues accusaient cette majorité de se montrer peu charitable envers les pauvre. Jusqu'ici elle avait dédaigné de se défendre mais le flot des murmures grossissant toujours, elle s'est enfin décidée à faire cesser ces bruits importuns.

En conséquence, le 17 courant, veille du jour devait avoir lieu chez nous l'élection du 23^e^ Conseiller municipal, elle a fait tambouriner dans rues la publication ci-après, que je transcris textuellement pour ne pas gâter ce chef-d'œuvre politique et littéraire :

HOPITAL DE CHALLANS

Distribution de soupe aux indigents

« La Commission administrative de l'hôpital forme les indigents de cette commune qu'à partir du 1er décembre prochain jusqu'au 1er mars suivant elle fera distribuer journellement dans l'établissement hospitalier, à 11 h 1/2 du matin, des rations de soupe aux nécessiteux admis à en profiter.

Pour cela, les indigents devront présenter demande à M. François Lory, ordonnateur l'hôpital.

Challans, 16 novembre 1888

« Le Vice-Président de la Commission
hospitalière,

Signé : HERBERT. »

Que dites-vous de cet avis, M. le Rédacteur ? Promettre de la soupe aux pauvres, la veille d'une élection, en voilà de l'opportunisme!

Il est vrai que le potage était encore à l'état futur et que les électeurs indigents de la commune ne se trouvaient pas dans la situation de

Maitre Renard, par l'odeur alléché.

Mais on sait que les estomacs ont la gratitude facile et qu'ils savent se montrer reconnaissants par anticipation. Aussi y avait-il lieu de croire que le lendemain on verrait sortir de l'urne beaucoup de petits papiers portant le nom du candidat de la soupe. C'est ce que l'on a vu en effet. Et pourtant, Ô ironie du sort ! le susdit candidat n'a point été élu. En échange de la soupe, si libéralement promise, on lui a fait avaler un bouillon doublement amer, car il remplaçait hélas ! le champagne déjà tout préparé pour fêter le triomphe que l'on attendait et ... qui n'est pas venu (1).

Comment expliquer ce dénouement fatal? Je n'y vois, pour ma part, qu'une explication possible : apparemment certains destinataires de la soupe ont pressenti qu'elle ne vaudra rien, parce que selon le joli mot d'un de nos amis, elle ne sera composée que de carottes.

Ce légume, en effet, est fort employé dans la cuisine républicaine. Le mois dernier, par exemple, M. le docteur Dodin en a copieusement assaisonne sa circulaire : il y a gagné un siège au conseil municipal, cela est vrai; mais il y a gagné une autre chose avec, car, le jour de son installation, mis en demeure de prouver les allégations de son manifeste, il n'a pu le faire et s'est vu par suite, à la barbe de plusieurs de ses amis présents à la séance, administrer une correction verbale dont je présume qu'il gardera quelque temps le souvenir.

Voilà donc où nous en sommes arrivés sous le présent régime : l'urne électorale n'est plus qu'une soupière.

Cela suffit pour caractériser la situation. Toutefois je ne puis m'empêcher de signaler brièvement diverses autres manœuvres employées par les républicains grands et petits contre notre candidat du 18 novembre.

L'ouverture du bureau a été fixée à 9 h. du matin seulement pour rendre aussi malaisé que possible le vote d'an bon nombre de nos électeurs de la campagne, obligés de rentrer chez eux aussitôt après la première messe qui finit à 7 heures.

Les agents de nos adversaires ont affirmé dans une foule de maisons, que notre candidat était porté malgré lui, ce qui a déterminé quelques-uns de ses partisans à ne pas lui accorder un suffrage qu'ils croyaient inutile.

Ces mêmes agents ont conté à certains électeurs illettrés et crédules que, d'après une loi nouvelle, les bulletins des blancs n'étaient valables qu'à la condition d'être revêtus d'une bande gommée, laquelle bande on avait soin de remettre à ces électeurs, sans leur dire qu'elle portait le nom du candidat républicain.

Je pourrais continuer cette énumération, mais ma lettre est déjà longue et il est temps de finir.

Après l'emploi de semblables manœuvres, que les républicains viennent donc encore nous parler de la souveraineté, du peuple, du suffrage universel, de la liberté du vote et autres principes de ce genre dont chaque jour ils nous fatiguent les oreilles !

Ces principes-là (qu'on me pardonne la familiarité de l'expression !) ils en font de la soupe aux carottes pour les électeurs.

C'est égal, on rira longtemps parmi nous du potage opportuniste de la majorité de notre com mission hospitalière... Quelle collection de Vatels que cette majorité ! Les transformations culinaires les plus difficiles n'embarrassent point sa capacité sans rivale : elle nous l'a montré ces derniers jours, car avec sa soupe, elle a fait une fameuse brioche.

Veuillez agréer...

Un électeur de Challans.

< Cahier de Lucien Dodin père, page 23 | Le cahier électoral de Lucien Dodin Père, index | Cahier de Lucien Dodin père, page 25 >


Page vue fois depuis le 14 mai 2020