Cahier de Lucien Dodin père, page 11
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signes extraordinaires - tressaillons d'allégresse - intercepter toutes les dépêches - punir le coupable
Publicateur mercredi 5 mai 1886
On nous écrit de Challans :
Le lundi de Pâques, il y avait, à Challans, une fête particulière. La meilleure partie de la paroisse s'était donné rendez-vous au village de la Véronnière pour assister à la bénédiction d'un Calvaire vraiment monumental. Par des signes extraordinaires, le ciel, à plusieurs reprises, avait paru manifester la volonté divine, Dieu semblait demander un Calvaire: il devait être obéi. M. Gibotteau, le pieux propriétaire de cette contrée, était naturellement désigné pour accomplir le désir du ciel. Il voulut faire les choses avec sa foi et avec son cœur, c'est dire qu'il les fit grandement. Sur un site admirablement choisi près de sa demeure, il exécuta des travaux considérables pour former une éminence et sur cette éminence, un artiste distingué fut chargé d'élever une croix avec un christ, mais une croix gigantesque en beau granit des Lucs. Le généreux chrétien n'a donc pas compté avec Dieu : Dieu, nous en sommes sûrs, ne comptera pas avec lui non plus dans la diffusion de ses meilleures grâces. Il le bénira comme un Père divin doit bénir un fils dévoué qui lui fait le plus grand honneur. Il bénira également la sympathique et nombreuse assistance qui avait eu à cœur de se rendre à cette touchante cérémonie. Il bénira ces enfants courageux, ces femmes pieuses, ces hommes vraiment chrétiens qui ont pris fort à cette éclatante manifestation religieuse du lundi de Pâques. Il leur fallait du courage pour se mettre en route et faire plus de cinq kilomètres sous les rayons d'un soleil brûlant.
Mais quand il s'agit de montrer sa foi et son dévouement, un challandais peut-il être en retard ?.. Non, sans doute.
Aussi, malgré la chaleur qui était accablante, malgré la distance qui était considérable, une foule relativement énorme obéissait à la voix de son pasteur et se mettait en procession à une heure précise. Le long du chemin, de nouveaux fidèles se joignent aux premiers et dans les rangs qui s'allongent de plus en plus, on chante les vêpres et des cantiques de circonstance, sous la sympathique direction de M. le Curé de Sallertaine. Les musiciens du Patronage St-Joseph, malgré la fatigue des jours précédents, ne se ménagent pas ; ils jouent de nombreux morceaux avec l'entrain et la précision qui les distinguent.
Après 1 h. 1/2 de marche, la Croix nous apparaît... Nous entrons dans l'allée ornée de fleurs et de guirlandes qui nous conduit au pied du monument artistement paré... La musique retentit pour saluer N. S.: et le Cantique: Chers amis, tressaillons d'allégresse, est enlevé par la foule enthousiaste. M. le doyen de Challans procède à la bénédiction du Calvaire et d'une voix vibrante fait entendre des paroles que nous voudrions reproduire textuellement: "Dieu le veut! s'écrie-t-il: Tels sont les mots que je lis au socle de ce monument. Dieu a voulu de toute éternité qu'il y eût un Calvaire au sommet du Golgotha pour la rédemption humaine...
Dieu le veut ! L'homme de foi, le digne propriétaire qui a fait élever cette croix magnifique a entendu au fond du cœur l'appel de la divine volonté. Mais si Dieu voulait un Calvaire dans ce lieu déjà consacré par de pieux et antiques souvenirs souvenirs, l'exigeait-il aussi beau et aussi monumental ? Non, évidemment. Mais se souvenant des grâces reçues, notre chrétien a donné à tous l'exemple de la reconnaissance et de la générosité. — Je lis aussi ces paroles : Sic deus dilexit mundum. A l'exemple de J. C. donnant sa vie pour notre rédemption, faisons nos sacrifices généreusement. A cette heure où l'Eglise est affreusement persécutée, elle a besoin de tout le dévouement de ses enfants. Serions-nous les vrais disciples de N. S., serions-nous des chrétiens si nous n'étions inébranlables devant les railleries de l'impiété, devant les persécutions peut-être sanglantes de l'athéisme ?...
Nous demandons pardon à M. le curé de Challans de ne pas donner une idée plus exacte de son éloquente allocution. L'entrain qu'on mit à chanter le cantique : "Amour, honneur, gloire à la Croix!" A du lui prouver qu'il avait été compris et que ses sentiments de foi ardente et généreuse étaient passés dans les cours de ses paroissiens. Puis le feu de joie pétille aux cris répétés : Vive J. C.! Vive la Religion ! Vive M. le Curé ! Vive M. Gibotteau !
Et tous ces braves Challandais, fidèles héritiers des héroïques Chouans de 93, s'en vont, heureux et fiers d'avoir accompli ce grand acte de foi et d'avoir montré aux impies que le sang chrétien n'est pas appauvri dans leurs veines.... En effet, ce n'est pas le moment d'être timide.
S'il fut un temps où il était permis de prier seulement dans l'intimité du foyer domestique, c'est lorsque l'Eglise était aimée et respectée, mais aujourd'hui, qu'elle est bafouée et insultée, ce serait une lâcheté de dissimuler le signe de la Croix que nous portons au front depuis notre baptême...
Merci aux Challandais qui l'ont si bien compris.
L. T.
La Vendée mercredi 27 janvier 1886
UN NOUVEAU SCANDALE
Challans, le 25 janvier 1886.
Monsieur le Rédacteur, D'après le bruit public, il se serait produit à Challans, il y a quelques semaines, un fait scandaleux et de nature à révolter tous les cours honnêtes... Vous n'en serez certainement pas surpris, car vous savez qu'on peut s'attendre aux choses les plus étranges sous le gouvernement de l'infâme Marianne.
Deux républicains que nous pourrions nommer, à Challans, auraient passé la nuit qui a suivi les dernières élections législatives, au bureau du télégraphe, en compagnie de M. Bot, receveur des postes: ces messieurs se seraient permis d'intercepter toutes les dépêches, privées ou non privées, concernant les élections ou ne les concernant pas.
Nous n'affirmons rien: nous ne faisons que constater la rumeur publique.
Vous ne serez pas étonné, M. le Rédacteur, en apprenant que les esprits sont, à l'heure actuelle, vivement surexcités. L'indignation des Challandais est en effet bien légitime, puisqu'ils sont blessés dans leurs intérêts les plus chers et les plus intimes. Quoi de plus révoltant que la pensée de semblables indiscrétions.
On a bien dit à la vérité que le receveur des postes avait été mandé dernièrement par M. le Directeur départemental pour recevoir une sévère algarade: mais ce blâme suffira-t-il pour empêcher le retour de pareils scandales ? Nous n'osons l'espérer. Certains personnages intéressés dans cette question qui compromet leurs amis politiques, répandent le bruit, pour calmer les esprits, qu'une enquête sérieuse se fera bientôt. Nous l'attendons impatiemment et nous prions ceux qui en seront chargés de répondre aux quatre questions suivantes :
1° Est-il vrai que les messieurs sus-indiqués, ont passé la nuit du 6 au 7 décembre dernier au bureau du télégraphe ?
2° Est-il vrai qu'ils se sont livrés aux actes coupables qu'on leur reproche ?
3° Est-ce la première fois que ces messieurs se permettent une indiscrétion aussi inconvenante?
4° Après avoir la les dépêches, dans ces circonstances ou dans des circonstances antérieures, ont-ils aussi pris connaissance de lettres adressées à des particuliers ? L'accusation est publique et catégorique: il faut que la réponse le soit également.
Il paraît que beaucoup de Challandais se plaignent, les uns d'avoir reçu des lettres, ouvertes par le moyen de la vapeur; les autres de n'avoir pas reçu des dépêches qu'ils attendaient au moment des élections. Des correspondances, mises à la poste, dit-on, il y a plus de trois semaines, ne sont pas encore parvenues à leur destination. Voilà, M. le Rédacteur, des choses bien graves et qui demandent un prompt éclaircissement.
L'enquête, si elle est impartiale, nous dira ce qu'il faut penser de ces accusations, portées par tout un peuple au tribunal public.
Il est vrai qu'aujourd'hui les honnêtes gens ne sont guère habitués à se voir rendre justice. La discussion sur les élections législatives nous a révélé bien des infamies du même genre. N'avons-nous pas entendu en particulier M. Lambert de Sainte-Croix dénoncer, au milieu des acclamations indignées de la Chambre un commissaire de police qui avait violé, de la manière la plus impudente, le secret des correspondances particulières ? M. Goblet, lui-même, en paraissait humilié et pourtant quel fut le résultat de l'enquête ?... Le commissaire sans doute a eu de l'avancement.
Ce serait bien différent si l'un de ces fonctionnaires était, je ne dis pas convaincu, mais seulement soupçonné d'avoir quelques relations avec les conservateurs on d'être le Nemrod d'un honorable royaliste... Oh! alors, la République serait évidemment en danger et la disgrâce la plus complète ne tarderait pas à punir le coupable. C'est ce qui est arrivé récemment au receveur des postes de la Garnache.
C'est pourquoi, sans être prophète, nous pouvons prédire que M. le docteur X....., sera pour toujours le grand médecin de Marianne: s'il l'empoisonnait seulement ! Nous lui en saurions bien gré. M. le fonctionnaire, son complice, deviendra ministre des finances : et M. Bot sera plus tard ministre des postes et télégraphes...
Il y en a peut-être de plus bêtes que ça dans le nouveau ministère !
Quoi qu'il en soit, les Challandais tiennent à faire savoir dès aujourd'hui qu'ils ne sont guère disposés à se laisser jouer et qu'ils emploieront au contraire tous les moyens pour faire respecter leurs droits et leurs intérêts.
Agréez, monsieur le Rédacteur, l'assurance de ma considération distinguée.
PETITGARS.
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