Cahier de Lucien Dodin père, page 10
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voter pour son cheval - un honnête homme - les marchands de mélasse - passage diffamatoire - mensonges
L'Avant garde vendredi 4 décembre 1885
Vendée
On nous écrit de Saint-Jean-de-Monts:
Dans cette terre classique du maraîchinage, nos bons réactionnaires soutenus par les gens d'église, craignent fort pour leur candidat - parfaitement inconnu du reste - qui n'a d'autres titres à la reconnaissance de ses concitoyens, que d'être le fils à papa. Cela paraîtra-t-il suffisant, j'en doute, bien que les mauvaises langues prétendent qu'un monarchiste fort connu aurait fait le pari de faire voter pour son cheval. Ce propos est peu poli pour les électeurs de M. Morisson de la Bassetière : j'aime à croire qu'il n'a pas été tenu.
Enfin, quoiqu'il en soit, on se démène, on déchire les affiches de notre candidat, et la calomnie va bon train contre la République et les républicains. On nous accuse de vouloir supprimer la Religion qui n'a jamais été attaquée, comme si nous n'étions pas aujourd'hui ses seuls défenseurs contre ses prêtres qui s'inquiètent plus des questions politiques que de leur ministère.
On exploite la crise actuelle. Il est bien entendu que la République est seule cause du prix trop élevé des fermages et non les propriétaires réactionnaires, enchantés de voir crier nos pauvres paysans dont ils empochent les écus. Réduisez le prix de vos fermes, Messieurs les nobles, prenez votre part des malheurs public.
Ceux parmi nous, qui veulent s'entendre avec le gouvernement, sur l'appui duquel nous pourrions compter, sont fort malmenés. Récemment, un de nos amis était violemment attaqué dans une mince feuille de propagande, distribuée à de nombreux exemplaires dans notre canton. On trouvait mauvais que le choix d'un ministre se fut arrêté pour représenter la justice sur un homme auquel de longues années de travail et d'économie ont permis d'avoir un peu de pain sur la planche. Les travailleurs sont peu prisés chez vous, monsieur le Rédacteur, et les fainéants ont beau jeu. Qu'avait-on à reprocher à notre nouveau suppléant de la justice de paix ! Rien, sinon d'avoir été maire de Saint-Jean-de-Monts, et maire regretté. Il n'est pas cependant nécessaire d'avoir apporté la ruine dans une commune pour être un honnête homme, ni de traîner à la suite de son nom un nom de terroir, de métairie, pour être un homme intelligent. Mais passons, il faut dans ce pays, s'accoutumer aux insultes et savoir les mépriser.
Nos élections se préparent bien, la lutte sera chaude. Nous sommes persuadés que dimanche prochain plus de "90 imbéciles" iront voter pour l'ORDRE avec monsieur BIENVENU et contre la GUERRE CIVILE, qui achèverait de ruiner nos agriculteurs.
Sarcel
La petite France mercredi 20 janvier 1886
VENDÉE
Challans. - Don mérité. - Le ministre de l'intérieur vient d'accorder une somme de 100 francs à la société musicale la Lyre challandaise. Sous l'habile direction de M. Normand, cette fanfare fondée depuis deux années à peine, a fait de rapides progrès. Les concerts qu'elle offre au public sont fort goûtés. Malgré la défense absurde du clergé et le refus des sacrements à ceux qui y assistent, les 500 places que contient la salle de l'Avenir se trouvent toujours insuffisantes.
Charité chrétienne ! – Nous sommes accoutumés aux façons de nos adversaires. Ils ne peuvent rien faire qui nous surprenne.
Si nous vous signalons un nouvel incident de notre vie communale, c'est que la guerre faite ici par les gens d'église aux idées libérales prend une allure qui menace de tourner au tragique. Aujourd'hui, nos excellents cléricaux semblent oublier leurs habitudes traditionnelles de procéder par voie hypocrite et détournée. Enrégimentés sous diverses bannières, Société de Saint-Vincent-de-Paul, Femmes chrétiennes, etc., etc., ils ont résolu, en procédant par mesure générale, de renvoyer employés, domestiques, journaliers, garçons on demoiselles de comptoir soupçonnés d'être Roges (rouges) ou simplement de compter des amis ayant des opinions non estampillées par messieurs les sacristains.
Ces mesures, que nous laissons aux gens véritablement honnêtes le soin de qualifier, auraient, d'après ce que l'on raconte, reçu un commencement d'exécution.
C'est au nom de vos principes religieux, messieurs, que vous agissez ! Et vous criez à la persécution pour engager à passer à la caisse! Quelle religion nous faites-vous là ! Nous avons connu des prêtres estimables qui auraient rougi de vous serrer la main.
Mais continuez ! marchez ! Les paysans savent quels sont leurs espions et leurs délateurs auprès des propriétaires de leurs fermes: l'ignoble pression cléricale les écrase, ils se rendent exactement compte qu'ils assistant aux dernières convulsions d'un parti qui agonise en Vendée comme ailleurs Quant à nous, notre devoir est de protester contre les habitudes de délation d'immonde mouchardise que l'on voudrait acclimater ici.
Sarcel
Le Libéral de la Vendée vendredi 28 janvier 1886
M. Barrau nous demande l'insertion de la lettre suivante :
A Monsieur Adrien Dubé rédacteur en chef de L'Etoile de la Vendée.
Monsieur,
Dans votre numéro du dimanche 23 janvier vous daignez vous occuper de mon humble personnalité d'une façon qui mérite assurément une réponse.
Avec une dextérité telle que l'on vous croirait du métier, vous cassez du sucre sur mon dos d'épicier. Ah! monsieur, que vous êtes finement ironique ! Mais, pourquoi avez-vous oublié d'assaisonner de bon sel et d'excellent poivre - substances qui, vous le savez, se vendent chez les marchands de mélasse - vos plaisanteries surannées !
Je l'avoue sans honte, monsieur, je me sens piqué parfois de la tarentule poétique. Que voulez-vous ? Nul n'est parfait ici-bas... pas même vous monsieur : je vais vous en donner la preuve tout-à-l'heure. J'ai commis un volume de vers et quelques autres petites choses que Victor Hugo, Zola, Cladel, Claretie, Emile Augier, Guy de Maupassant, Huysmans, Rollinat, etc., etc. et Barbey d'Aurevilly et Charles Buet - deux des vôtres - ont bien voulu complimenter. Cinquante journaux parmi lesquels le Voltaire, le Gil Blas, la Revue politique et littéraire etc., etc. en ont fait l'éloge.
A leur sujet, M. Sully-Prudhomme m'a écrit ceci :
Cher confrère,
Je suis très touché de l'envoi que vous m'avez fait d'un exemplaire de votre recueil de poésies Fleurs d'Enfer. Je l'ai lu avec tout l'intérêt qu'inspire l'ouvre d'un artiste habile, qui connaît toutes les ressources de la versification et les met au service de sentiments raffinés et de recherches curieuses.
Veuillez agréez tous mes meilleurs remerciements pour le plaisir que je vous dois et l'expression de mes sentiments sympathiques et dévoués.
SULLY-PRUDHOMME.
J'ai reçu de l'auteur de Madame Gervaisais, les lignes suivantes :
Monsieur et cher confrère,
..... Vos vers m'apparaissent dans les Fleurs d'Enfer comme ceux d'un poète et d'un chanteur de sensations modernes et il y a, il me semble, dans le volume de jolis tours de force sur la corde raide du mètre, notamment dans la chansons des parfums et les Odeurs de foin et d'amour.
Agréez, monsieur et cher confrère, l'assurance de mes sentiments sympathiques.
Edmond de GONGOURT.
Eh bien, la, franchement et pas mal de gens penseront comme moi j'accorde plus de poids aux appréciations de ces écrivains qu'à vos critiques d'ignorant en matière de vers. Vous ne savez même pas en compter les pieds, monsieur, et vous avez le tort de vivre en mauvaise intelligence avec la prosodie qui ne vous eût, certes, pas conseillé d'insérer dans votre supplément du même jour un chef-d'œuvre poétique où je cueille les deux hiatus suivants : lutta avec et toi un
Vingt ans contre le Christ lutta avec orgueil ;
....
L'orgueil qui fit hélas, de toi un mécréant.
Voilà un crachat qui vous retombe sur le nez, monsieur; à l'avenir ne gaspillez pas ainsi votre salive.
Vous m'accusez d'être l'auteur des correspondances adressées dernièrement au Libéral. Ce n'est pas moi qui ai écrit ces lettres. Vous mentez donc, monsieur, comme vous mentez un peu plus loin dans un passage diffamatoire.
Mais procédons par ordre.
Je n'ai jamais publié un article entraînant une responsabilité sans le signer de mon nom ou d'un pseudonyme sous lequel il était toujours facile de me trouver; car, monsieur, si je ne veux, en aucune façon, endosser la paternité d'enfants qui ne me sont rien, je la revendique hautement lorsqu'il s'agit des miens.
Veuillez, je vous prie, vous en souvenir.
De qui êtes-vous le porte-plume et quel traitement recevez-vous pour calomnier ainsi que vous le faites ? Il me semblait que les Allemands seuls étaient des insulteurs de femmes, ... pardon, il y a encore M. Adrien Dubé. On vous a fait jouer là un vilain rôle, monsieur, et la personne qui vous a fourni les calomnies que vous avez apprêtées à votre sauce nauséabonde, pourrait bien avoir les oreilles sérieusement tirées si elle avait le courage de les montrer tant soit peu.
Oui, monsieur, on a donné Un crâne sous une tempête et bien que cette saynète ait été jouée, sans restriction, dans des salons où vos maîtres sont seuls admis, nous y avons pratiqué des coupures pages 5, 6, 7, 9, 10, 15, 18 et supprime le jeu de scène de la fin, nous, que vous traitez d'immoraux parce que nous ne partageons pas votre manière de voir.
Ou vous êtes un naïf, ou vous êtes... le contraire. Dans le premier cas, vous auriez dû lire la pièce en question et vous eussiez vu que pas une seule fois il est indiqué de s'embrasser.
Nouveau Don Quichotte, sans la moindre chevalerie, toutefois, vous ne seriez pas alors parti en guerre contre des moulins à vent. Dans le second cas... je ne vois pas quels qualificatifs vous seraient applicables.
Fi, la malpropre besogne, monsieur! et que de personnes, même bien pensantes, elle a écœurées ! Et vous êtes journaliste ! Allons donc. Scribe obscur, forçat de la plume, noircissant de n'importe quelle façon n'importe quel papier... pourvu que cela rapporte.
Mais cela rapporte, quelquefois, autre chose que de l'argent, monsieur.
Deux fois je viens de vous prendre la main dans le sac aux mensonges, encore deux et ce sera tout.
Vous dites que "nous avons imité les cléricaux" c'est le contraire qu'il faut lire. Notre premier concert, au profit des pauvres, a été donné il y a tantôt sept ans; le suivant fut organisé au bénéfice des familles des naufrages de votre ville et le maire d'alors, l'honorable monsieur Barreau, nous en remercia par une lettre bien sympathique que nous conservons précieusement. Dimanche prochain nous en offrons un aux membres honoraires de notre musique. En ma qualité de président de la Lyre challandaise je vous y invite, monsieur, et, si cela peut être agréable, nous reprendrons le Crâne sous une tempête.
Le quatrième mensonge - je n'en veut point relever d'autres — a trait aux cabotins que, paraît-il, nous avons fait venir de Nantes. Nous avons loué notre salle à de pseudo-artistes qui n'avaient pas plus le sens dramatique que vous ne possédez celui de la poésie, c'est vrai, aussi bien l'avons-nous louée au prestidigitateur Mélidès. Nous la louerons à qui nous la demandera, même à vous, monsieur, si toutefois l'envie vous prend jamais de venir exécuter sur notre scène les tours d'acrobatie que vous accomplissez dans vos colonnes.
Et, maintenant, à quoi aura servi votre longue diatribe ! Tout simplement à édifier vos amis et les nôtre sur votre valeur morale. Bavez, crachez tout à votre aise et tant qu'il vous plaira : je n'y accorderai plus la moindre attention...
Je vous salue, monsieur.
Le Directeur de la salle de l'Avenir,
A. BARRAU.
L'Avant Garde vendredi 4 décembre 1885
Vendée
On nous écrit de Saint-Jean-de-Monts :
Dans cette terre classique du maraîchinage, nos bons réactionnaires soutenus par les gens d'église, craignent fort pour leur candidat - parfaitement inconnu du reste - qui n'a d'autres titres à la reconnaissance de ses concitoyens, que d'être le fils à papa. Cela paraîtra-t-il suffisant, j'en doute, bien que les mauvaises langues prétendent qu'un monarchiste fort connu aurait fait le pari de faire voter pour son cheval. Ce propos est peu poli pour les électeurs de M. Morisson de la Bassetière ; j'aime à croire qu'il n'a pas été tenu.
Enfin, quoiqu'il en soit, on se démène, on déchire les affiches de notre candidat, et la calomnie va bon train contre la République et les républicains. On nous accuse de vouloir supprimer la Religion qui n'a jamais été attaquée, comme si nous n'étions pas aujourd'hui ses seuls défenseurs contre ses prêtres qui s'inquiètent plus des questions politiques que de leur ministère.
On exploite la crise actuelle. Il est bien entendu que la République est seule cause du prix trop élevé des fermages et non les propriétaires réactionnaires, enchantés de voir crier nos pauvres paysans dont ils empochent les écus. Réduisez le prix de vos fermes, Messieurs les nobles, prenez votre part des malheurs public.
Ceux parmi nous, qui veulent s'entendre avec le gouvernement, sur l'appui duquel nous pourrions compter, sont fort malmenés. Récemment, un de nos amis était violemment attaqué dans une mince feuille de propagande, distribuée à de nombreux exemplaires dans notre canton. On trouvait mauvais que le choix d'un ministre se fut arrêté pour représenter la justice sur un homme auquel de longues années de travail et d'économie ont permis d'avoir un peu de pain sur la planche. Les travailleurs sont peu prisés chez vous, monsieur le Rédacteur, et les fainéants ont beau jeu.
Qu'avait-on à reprocher à notre nouveau suppléant de la justice de paix ! Rien, sinon d'avoir été maire de Saint-Jean-de-Monts, et maire regretté. Il n'est pas cependant nécessaire d'avoir apporté la ruine dans une commune pour être un honnête homme, ni de traîner à la suite de son nom un nom de terroir, de métairie, pour être un homme intelligent. Mais passons, il faut dans ce pays, s'accoutumer aux insultes et savoir les mépriser.
Nos élections se préparent bien, la lutte sera chaude. Nous sommes persuadés que dimanche prochain plus de "90 imbéciles " iront voter pour l'ORDRE avec monsieur BIENVENU et contre la GUERRE CIVILE, qui achèverait de ruiner nos agriculteurs.
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