Cahier de Lucien Dodin père, page 08

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Bannière tricolore - l'art en province - programme artistique - 252 Fr - droit de parler - marmite infernale

Ensemble des fac-similé

Il s'agit d'un document manuscrit, noté en haut de la première page "allocution prononcée à l'inauguration de la Salle de l'Avenir" à Challans le Dimanche 17 mai 1885"

Le Populaire jeudi 21 mars 1885

VENDÉE

Challans... - L'inauguration de la salle de l'Avenir, que nous annoncions il y a quelques jours, a su lien dimanche dernier avec une certaine solennité. Le fait en lui même aurait peu d'importance, sans l'esprit de division qui règne dans la petite cité vendéenne et qui obligeait une partie de la population à s'abstenir de prendre part à cette fête. La raison est, que les partisans du drapeau de M. de Baudry-d'Asson n'en n'étaient point les organisateurs et que les dames de l'ouvroir laïque devaient profiter de l'occasion pour offrir une bannière tricolore à la jeune fanfare "La Challandaise".

La remise de cette bannière eut lieu dans l'après-midi par Mme Ch. Bataud, Présidente de l'Ouvroir, en sa magnifique propriété de la Coursaudière. La Marseillaise exécutée par la Lyre Challandaise salua aussitôt les couleurs nationales, que l'on voit, hélas trop peu souvent flotter dans cette contrée.

Le soir, une foule considérable envahissait la nouvelle salle de spectacle, ou devait avoir lieu un charmant concert, dont nous avons déjà publié le programme.

M. le docteur Dodin, une figure sympathique qu'il ne faut point perdre de vue, prononça au début, quelques paroles émues qui furent couvertes d'applaudissements. Après avoir rappelé toutes les fondations utiles, organisées par un comité de républicains, dévoués à la cause du progrès, - Société de secours mutuels, Société de propagande des écoles laïques, Bibliothèque populaire, etc... - il dit, fort spirituellement, que, tous les services rendus n'auraient de récompense que dans leur conscience, puisque les gens bien pensants condamnaient d'avance les bienfaiteurs "à bouillir éternellement dans la marmite infernale".

M. E. Champury, rédacteur au Phare de la Loire, a pris ensuite la parole pour traiter du Rôle de l'Art on province. Bien que le conférencier n'ait pas tenu à se renfermer dans son sujet, il s'est fait écouter avec plaisir. Nous ne le suivrons point dans sa substantielle improvisation dont nous ne retiendrons que la conclusion.

L'art est essentiellement moralisateur; en le cultivant, l'esprit s'élargit et s'élève. Mais l'art à besoin, pour arriver à son complet développement, d'une complète indépendance. Il ne faut pas qu'il soit l'instrument d'une basse flatterie à l'adresse l'un souverain quelconque. Il lui faut l'air pur de la liberté, et le régime actuel est seul capable de le lui donner.

Quant à son rôle en province, le programme de cette soirée d'inauguration l'indique suffisamment. A l'attrait des causeries que ne manqueront pas de venir faire des hommes dévoués aux intérêts de la démocratie française, il joindra son attrait propre. La littérature et la musique apporteront ainsi leur précieux concours à la propagande des idées nouvelles et souvent aussi au soulagement des infortunes.

Pour la partie purement artistique du programme on avait fait appel à la bonne volonté de plusieurs jeunes gens de la localité; MM. Bienvenu, Simoneau, Bled, Rigolage, Loneau et Chausseau, méritent les plus vifs éloges. En outre, notre sympathique confrère et ami, Auguste Barrau, a dit, en poète, une délicate poésie de Manuel. La lyre Challandaise qui ne compte que cinq mois d'existence a bien exécuté plusieurs morceaux, assez difficiles, de son répertoire. Ce résultat surprenant est du, en grande partie, aux efforts persévérants de son habile chef, M. Normand. Nous voyons qu'il veut faire honneur à sa bannière. En passant félicitons les dames de l'Ouvroir laïque de leur bon goût; la bannière qu'elles ont eu la gracieuseté d'offrir, est originale et fort jolie.

Au cours de la soirée, deux mignonnes fillettes de cinq ans sont venues présenter de magnifiques bouquets au conférencier M. Champury et au chef de musique M. Normand.

Une quête faite par Mmes Sarel et Cantin, accompagnées de MM. Ch. Batuaud et Cantin, a produit la somme assez ronde de 263 fr. destinée à subvenir aux premiers frais d'organisation de la musique.

En somme, cette première tentative a réussi au-delà des prévisions, et nous félicitons sincèrement les organisateurs pour le zèle qu'ils ont mis à improviser une aussi charmante fête. Le succès qu'ils ont obtenu leur était bien du.

Le Petit Phare jeudi 21 mai 1885

VENDEE.

CHALLANS. - On nous écrit de cette localité:

Notre petite ville a été en fête dimanche. Il y avait le même jour remise d'une bannière à la fanfare républicaine nouvellement constituée, la Lyre Challandaise, et inauguration de la salle de concerts et conférences dite Salle de l'Avenir.

La remise de la bannière s'est faite dans la belle propriété de la Coursaudière. Tous les républicains de Challans et des environs, notamment M. Priou, ancien maire républicain de notre ville, étaient présents et plusieurs personnes étaient venues de fort loin, entre autre, votre digne collaborateur, M. Hervé Lebiguais, de Saint Gilles sur-Vie, et M. Moreau, le jeune rédacteur de l'Echo de la Vendée de Luçon. Le sous-préfet, M, Blanc, dont on espérait la présence, s'était malheureusement trouvé retenu aux Sables où avait lieu l'inauguration d'un édifice.

La bannière en velours et satin, brodée et frangée d'or, est fort belle ; elle est aux couleurs nationales, ce qui est nouveau à Challans. Elle a été offerte à la fanfare par les dames de l'Ouvroir laïque dont le dévouement ne manque jamais de se produire quand il s'agit d'entretenir le patriotisme et d'encourager les républicains. M. Marchand, chef de musique, a remercié du beau cadeau qui était fait à la Lyre Challandaise et a déclaré que cette fanfare aurait à cœur de s'en montrer digne.

Le cortège s'est ensuite formé, et, bannière et musique en tête, s'est rendu sur la place, où la Marseillaise a été jouée, aux applaudissements du public. C'est la première fois, depuis la mairie réactionnaire, que les couleurs nationales sont promenées et que l'hymne national retentit dans les rues de Challans.

Le soir, une foule comme on n'en avait jamais vu à Challans s'est pressée pour prendre place dans la salle de l'Avenir, nouvellement construite. Bien que l'enceinte contienne 400 places assises, nombre de personnes n'ont pu entrer. Cette salle spacieuse est en même temps pratique ; une scène est disposée à l'une des extrémités; à l'autre, une tribune en galerie ; sur les côtés, des cartouches aux initiales R. F. et des faisceaux de drapeaux tricolores.

M. le docteur Dodin, si justement aimé à Challans, a prononcé une allocution humoristique dans laquelle il a exposé le but que se sont proposé les fondateurs de la salle. Il s'agit d'une œuvre de progrès, de diffusion des lumières, et si les initiateurs de cette œuvre devaient être aussi mal vus d'une partie de la population que le furent, il y a bientôt un siècle, les cheminaux qui construisaient la route nationale, ils ne se décourageraient pas pour si peu.

D'unanimes applaudissements ont prouvé à M. Dodin que l'auditoire pensait comme lui.

La Lyre Challandaise et des amateurs ont ensuite prouvé par l'interprétation de charmants morceaux de musique et de poésie et même de deux petites pièces de théâtre, que, si Challans est peu peuplé, les éléments ne manquent pas parmi la partie républicaine de la population, pour organiser et faire réussir des concerts.

Entre les deux parties du concert, une place avait été réservée pour une conférence et c'est à l'un de vos rédacteurs, M. Champury, que l'on s'était adressé.

Après avoir rappelé, en paroles très fermes, que ce n'est point sans une intention réfléchie qu'un rédacteur du Phare de la Loire était appelé à inaugurer une salle dans une commune où ont retenti, il y a quelques années, des appels a la guerre civile, M. Champury a traité de l'Art et de son rôle en province. Bien que son sujet fût littéraire, l'orateur a touché dans quelques passages à la situation de la province et les attaques très vives qu'il a lancées à l'adresse de la réaction ont été chaque fois soulignées par d'unanimes applaudissements. M. Champury a démontré par l'exemple des républiques d'Athènes, de Florence, de Pise, de Gènes, de Venise, des Flandres et de Hollande que la République est le gouvernement le plus profitable à l'art, car elle permet aux artistes de travailler en toute indépendance, tandis que sous les gouvernements personnels ils sont condamnés au rôle de flatteurs. Il a établi ensuite que dans ces grandes époques l'art n'était pas centralisé dans les grandes villes , mais répandu partout; la liberté de réunion dont la République nous a dotés permet cette diffusion universelle de l'art: elle existe à peu près pour la musique, elle existera demain pour les arts du dessin. L'orateur a expliqué ensuite le fonctionnement de certaine œuvres d'initiative privées qui rendent des services ailleurs et qui pourraient être imitées partout les musées ambulants de l'Angleterre, les expositions circulantes suisses, enfin les musées cantonaux, les conférences et les fêtes cantonales créés on Normandie par M. Groult, de Lisieux. M. Champury a montré ensuite con bien la vie forcément monotone des petites villes gagnerait en agrément le jour où ces bons exemples seront suivis et combien le pays tout entier que profitera de cette diffusion des lumières et de cette éducation du goût. Il a terminé en conviant les auditeurs dont le cœur est toujours prompt à battre et la bourse prête à s'ouvrir pour une œvre utile à encourager celle entreprise par les personnes qui ont doté Challans de la salle de l'Avenir.

La collecte faite à la suite de cet appel, a donné la fort belle somme de 252 francs.

A l'issue du concert, un punch fraternel a réuni les musiciens et les invités. Il s'est joyeusement prolongé jusqu'à une heure du matin.

Telle a été cette belle fête, dont le souvenir ne s'effacera pas de sitôt à Challans.

Le Petit Phare dimanche 31 mai 1885

LETIRE DE VENDÉE

II.

Mon cher Directeur,

Il y a huit jours à peine votre rédacteur, M. Champury, inaugurait la Salle de l'Avenir, par une brillante conférence sur l'art et voilà qu'on nous en annonce une autre pour dimanche prochain.

L'orateur que vous connaissez bien, M. Perreau Rude, doit traiter: Du droit de parler et du devoir de se réunir.

Ce sujet offre matière à d'intéressants développements ; ce sera un peu l'histoire du verbe - pas du Verbe fait chair de l'Evangile ! - et des associations que M. Perreau Rude va nous faire là ; et, pour ma part, je l'écouterai avec infiniment de plaisir car notre compatriote manie la parole avec autant de facilité que la plume.

Seulement je crains bien que cette conférence n'attire encore une nouvelle série de malédictions sur la pauvre Salle de l'Avenir - triste avenir pour elle !

Figurez vous, mon cher Directeur, que ce local est mis en interdit. Défense est faite aux femmes, filles, enfants d'y mettre les pieds sous peine - tremblez ! - de non-absolution.

Lors de l'ouverture de la Bibliothèque populaire, il s'était bien passé quelque chose d'à peu près semblable mais avec la modération et la douceur hypocrite des reproches orthodoxes.

Aujourd'hui, messieurs du clergé mettent carrément le poing sur la hanche et sonnent à pleins poumons de l’olifant ultramontain afin de rassembler les brebis auxquelles les ils donnent à choisir, ou de leur absolvo ou de la Salle de l'Avenir.

Ils ont même élaboré un questionnaire, par demandes et par réponses, nouveau catéchisme à l'usage des fillettes que les parents voudraient envoyer aux concerts donnés dans la marmite infernale, selon la pittoresque expression du docteur Dodin:

Le père. - Tu viendras, ce soir, avec moi, à la représentation. Cela t'amusera.
L'enfant.- Non p'pa.
Le père. - Il le faut absolument: tu entends?
L'enfant.-- Non p'pa, je peux pas.
Le père.- Pourquoi ?
L'enfant. - J'suis chrétienne ! (sic).

Que répliquer à un pareil argument. Rien, assurément. Aussi le père baisse t-il la tête , confus comme un renard pris au piège.

Jusqu'à présent, celte façon de procéder un peu brutale ne leur a guère réussi : les pénitentes - trois fois, hélas ! - ont dédaigné l'absolution. Mais il en est d'autres - et c'est la majeure partie -- qui n'auront pas le même courage, grâce à la terreur inconsciente et superstitieuse que leur inspire le prêtre.

DICTUS (A Barrau)

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