Cahier de Lucien Dodin père, page 05

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Le Tonkin - des élus absents mais élus quand même

Ensemble des fac-similé

Le Petit Ouest jeudi 15 juin 1884

LETTRE DE LA CAMPAGNE

Monsieur le Rédacteur,

La campagne du Tonkin, si heureusement terminée par le traité de Tien-Tsin, est assurément un succès pour le cabinet Ferry. Je regrette que ce haut fait d'arme de notre jeune armée ait été seulement envisagé de cette façon. C'est un succès dont l'honneur revient pour la plus grande part aux soldats de la République, à la République elle-même. Il importe qu'on le sache et qu'on le dise.

On a collé sur les murs de nos mairies la déclaration du président du cabinet dans laquelle la fin de la guerre est annoncée; mais dans notre Bretagne, on lit peu; le Tonkin est inconnu, ainsi que son importance commerciale près de nos possessions de Cochinchine. Le paysan n'a retenu qu'une chose, c'est que la France se ruine en expéditions de cette nature...

Nos excellents ennemis les réactionnaires ont parfaitement compris que les intérêts de la France et les intérêts de la République sont identiques, aussi se bornent-ils à faire campagne anti-française. Jacques Bonhomme auquel ces meneurs ont soufflé leurs rancunes est resté persuadé que la France se ruine en travaux superflus, que dis-je, qu'elle est ruinée, et vous savez combien nos laboureurs sont sensibles à cette question d'argent. Renseignés sur ce qui se passe dans leur pays ou ailleurs seulement par des gens qui ont intérêt a les tromper et qui font des frais de propagandes qu'il faut voir pour comprendre, les paysans ajoutent ingénument foi aux fadaises qu'on veut bien leur conter.

Peut-être vous souvenez-vous du tapage fait par l'Empire autour des victoires de nos soldats, Quand nous allions en Italie, en Crimée, au Mexique, la France tout entière était sans retard renseignée sur nos moindres faits d'armes. Aujourd'hui, tout est changé. La République fait des conquêtes immenses qui ne lui coûtent pas un homme, presque pas un sou, quoiqu'on dise, et l'on n'entend, d'un bout de la France à l'autre bout, qu'un cri: La France est perdue! Il ne se trouve pas au gouvernement un homme pour crier à l'oreille des simples, des naïfs, des paysans, des travailleurs : La France est victorieuse et riche, c'est la République qui a relevé la Patrie, qui la fait grande.

Messieurs nos gouvernants, ne dédaignez pas de faire du bruit autour de nos gloires, ne craignez pas de réveiller nos populations endormies, de réchauffer leur sang qui se glace. A défaut de municipalités dociles, le garde-champêtre est là qui est votre homme, qui peut lire vos discours sur la place publique.

Il faut des réjouissances après nos victoires ; il faut que nos soldats soient fêtés à leur retour pour qu'ils sachent bien que la République n'est pas une vieille fée grincheuse qui n'a aucune consolation à donner à ses enfants après les fatigues d'un long voyage. Un peu de gaîté, un peu de joie en rentrant au foyer rend le courage aux cœurs épuisés. L'Empire l'avait compris, suivons son exemple en ceci.

Après nous avoir donné la Tunisie, Madagascar, le Cambodge, l'Annam, le Tonkin, à vous voir triste et songeur, Monsieur Jules Ferry, on croirait, Dieu me damne! qve vous avez trahi la France et que la République a perdu des batailles.

(Sarcel)

Le petit Ouest samedi 24 mai 1884

VENDÉE

Comment les Paludéens réussirent à nommer maire et adjoint.

En l'an de grâce 1884; M. Jules Ferry étant ministre des affaires étrangères et M. Waldeck-Rousseau, ministre des affaires intérieures, les membres du Conseil municipal de Palluau, se réunirent à la mairie de leur commune, au lieu ordinaire de leurs séances. On lut la loi qui dit que les édiles doivent siéger dans l'ordre de leur nomination. Il fallut changer de place quelques sièges, ce qui ne se fit pas sans peine ; il y en avait deux qui avaient obtenu le même nombre de suffrages et et avaient oublié leur âge; enfin en se faisant de mutuelles concessions, on arriva à se constituer d'une façon à peu près légale, maître Corbeau... Me Boiscorbeau, le plus âgé des membres de ce phénoménal conseil, présidait.

Sur douze conseillers, neuf étaient présents. M. Auguste Merlet, républicain sincère, élu au premier tour de scrutin par cinq voix, refuse d'accepter le mandat "à cause de la façon dont est composé le Conseil municipal". Alors, déroute complète le mot d'ordre était donné, on devait voter pour un Roge dont on croyait l'acceptation certaine, ce refus déconcertait d'autant plus les prévisions que les porte-conseils ordinaires étaient absents. Nouveau scrutin, les quatre républicains s'abstiennent, pas de résultat. Au 3e tour, trois voix se réunissent sur le nom d'un absent qui, en vertu du proverbe : qui ne dit rien consent, se trouve élu. Vous voyez que la nomination du maire fut pénible. Le travail nécessaire à l'enfantement d'un adjoint fut titanesque:

  • 1er tour. Pas de résultat.
  • 2e tour. Un forgeron surpris de tant d'honneur, refuse.
  • 3e tour. Pas de résultat.
  • 4e tour. Un propriétaire élu, refuse.
  • 5e tour. - Deux fermiers réunissent chacun trois voix, le plus âgé des deux, qui était présent n'accepte point; le 2e absent ne proteste pas.

Le maire et l'adjoint nommés de cette façon et faute de meilleurs, accepteront-ils? That is the question. Si vous rencontrez dans vos voyages une commune dans laquelle il se trouve un maire et un adjoint dont on serait heureux de se débarrasser, ayez donc l'obligeance de nous en faire part. Nous nous adressons à une commune voisine de la nôtre, qui devant élire 12 conseillers, après le vote en a proclamé 13, nous trouverons peut-être là notre affaire.

Cette façon de voter surprendrait assurément les madécasses, gens peu habitués à gérer les affaires publiques ; cependant l'explication est simple. Chez nous, nous sommes tous bons pour faire des maires et nous pouvons, évidemment, faire d'excellents adjoints. Vous devez donc facilement comprendre qu'il ait été difficile de réunir plus d'une voix sur chaque nom, et qu'il ait fallu les suffrages de quelques amis du gouvernement pour tirer les paludéens d'embarras.

SARCEL.

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