Cahier de Lucien Dodin père, page 03

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Lavoir public - on (re)commence à parler de l'église - les femmes ne savent pas lire - les "Roges" - un jeune et fringant vicaire

Ensemble des fac-similé

Petit littoral, samedi 3 mai 1884

Commune de Challans

Elections municipales du 4 Mai 1884

MM.

 1. RIOU, Edouard, docteur-médecin.
 2. HERBERT. Alexandre, propriétaire. 
 3. SALMON, Médéric, négociant.
 4. GABY, Elie, propriétaire.
 8. LAURENT, Alexis, notaire.
 6. AUGIS, Louis, menuisier.
 7. BOISIEAU, Jean, cultivateur, à la Gérie.
 8. CANTIN, Clément, négociant.
 9. DODIN, Lucien, docteur médecin.
 10. GAUTIER, André, minotier.
 11. GERVAIS, Jacques, père, à la Goblière.
 12. GRONDIN, Henri, négociant.
 13. GUILLOT, Henri, menuisier.
 14. GUYARD, Pierre, fernier, à la Tercerie.
 15. GAUTIER, Jean, fermier, à la Gliminiere.
 16. LORY. Francois, propriétaire.
 17. MENUET, Louis, fermier, à la Terrière.
 18. NAULLEAU. Pierre, fermier, aux Conts.
 19. PALVADEAU, Léopold, docteur médecin.
 20. RICOLLEAU, Léon, négociant.
 21. ROCHER, Pierre, fermier, à la Gérie.
 22. THIBAUDEAU, Désiré, propriétaire.
 23. VINATIÈRE, Aristide, négociant.

Challans, le 1er mai 1884.

Monsieur le directeur,

Nos adversaires viennent de publier et de promener à la campagne une circulaire dans laquelle ils rendent compte de leurs travaux. Vous ne sauriez croire tout ce qu'ils ont fait quand ils étaient conseillers municipaux ; je vais vous le dire, et vous serez surpris de tant de travail, car il y a une limite aux forces humaines, et 15 conseillers municipaux, mème commandés par une soutane ne peuvent pas construire des pyramides. "Nous avons élaboré, dit la circulaire, un projet de lavoir public".

Voilà toute leur besogne en trois années; encore est il bon de dire que ce projet leur avait été légué par nos amis.

Je vous ai dit précédemment que l'Etat nous avait offert dans sa générosité de nous construire deux écoles qui ne nous auraient absolument rien coûté. Ces Messieurs n'en parlent pas ou du moins voici en quels termes : "On a voulu nous obliger à construire un groupe d'écoles qui aurait coûté 120 à 130 mille francs, nous sommes trop économes des deniers de la commune pour nous lancer dans de pareilles dépenses". » Vous voyez qu’Escobar n'est pas mort.

Le porte plume de ces messieurs dit ensuite, d'après les journaux les mieux informés que la France est ruinée; mais, malheureux, vous savez bien que non, puisqu'elle vous paie régulièrement, vous qui la combattez. Dites que la République est trop bonne fille.

Il y a une chose qu'on a laissée absolument sous silence dans ce long imprimé; c'est la reconstruction de l'Église. Nous avons vu le devis tracé par l'architecte diocésain qui a porté les dépenses au minimum. Ce devis s'élève à cinq cent mille francs, et vous n'ignorez pas que ces évaluations sont généralement doublées. Notre église est neuve pour les 3/4 ; en reconstruisant la partie ancienne que la fabrique laisse volontairement détériorer; on n'aurait à dépenser qu'une somme d'environ 30 mille francs, et que nous posséderions le monument le plus confortable de l'arrondissement. Il faut bien que les électeurs sachent que, s'ils votent pour la liste du curé, ils s'exposent à payer un jour leur petit million sous forme d'impôts; les finances de la commune seront obérées pour un siècle, les chemins s'amélioreront tous seuls, et la Flocellière n'aura pas d'école de hameau.

La liste de notre curé est assez bizarrement composée ; on voit que son inspirateur ne connait pas très bien la nouvelle loi électorale. On nous dit, en effet, que toutes les personnes qui composent cette liste ne seraient pas éligibles, qu'ils ne seraient peut être pas même tous électeurs. Notre municipalité défunte fait revivre la candidature officielle. Les cartes d'électeurs ne sont distribuées qu'aujourd'hui (premier mai) et jours suivants, et par les mans des distributeurs de bulletins du curé: Ces procédés suffisent pour faire annuler une élection.

Un avocat sans cause, en quête de circonscription électorale, est venu mardi dernier engueuler les républicains de Challans. Vous savez comment ces gens-là procèdent quand ils veulent insulter quelqu'un. Ils font une réunion privée, n'envoient d'invitation qu'à leurs amis, barricadent leurs portes, puis retroussent leurs manches, et en avant : "Les républicains sont des canailles.... etc.".

Si vous vous donnez tant de mal, messieurs nos adversaires, c'est parce que vous vous rendez parfaitement compte que votre cause est perdue. Elle est perdue, en effet, et la liste quo présente le très honorable docteur Riou que vous insultiez l'autre jour est assurée du plus complet succès, vous pouvez vous faire tailler des ce jour ou veste ou soutane neuve.

UN ÉLECTEUR

(Sarcel)

Mercredi 30 avril

Monsieur le Rédacteur,

Il est peut-être bon d'indiquer dès aujourd'hui les divers trucs qu’emploient nos adversaires pour obtenir les votes de nos paysans. Le grand principe sur lequel ils s'appuient, c'est bien entendu le manque d'instruction des électeurs campagnards. Le cultivateur attaché à la glèbe comme aux anciens jours n'est pas allé à l'école, ne sait pas lire. Et si dans cette grande épidémie d'ignorance quelques-uns ont échappé, c'est parmi le sexe barbu qu'on les trouve. Le quatre cinquième des femmes de notre arrondissement ne savent pas lire; dites le bien haut. Ces esprits féminins sont donc devenus depuis longtemps la proie des curés qui dirigent les maris par leur intermédiaire, et qui inspirent par la confession la croyance à toutes les superstitions, la crainte d'un diable barbu qui a des pieds de chevaux. inspirateur des sorciers et des jeteurs de sorts.

Le parti prêtre étant devenu depuis quelques années très monarchiste, il a soufflé la haine dans nos campagnes contre toutes les personnes ayant des idées libérales, contre les Rouges. Quand, entre Palluau et Beauvoir-sur-Mer, vous êtes reconnu Rouge bon teint, vous êtes coté, et les vieilles femmes font, lorsqu'elles passent près de vous, le signe de la croix qui éloigne les maléfices. Le républicain est une variété d'homme connue et classée, elle effraie peu , le Rouge (prononcez Roge) est une énigme, un mystère, il a d'effrayant tout ce que lui donne l'insondable bêtise humaine.

Aux environs de Pâques, qui veut être absous de ses péchés mignons ou autres, doit apporter dans sa poche une profession de foi monarchique. Une femme qui considère que toutes ces questions municipales et politiques ne sont point ménagères, peut retourner chez elle, elle ne communiera qu'après avoir reconnu que le comte de Paris n'est pas le fils d'une Allemande.

Je vous ai promis de passer en revue une partie des ficelles qu’emploient nos honnêtes comploteurs Je suis bien dans l'obligation de reconnaître qu'ils sont d'honnêtes gens, qu'ils procèdent honnêtement dans toutes leurs façons. S'ils se donnent si fréquemment cette qualité, c'est évidemment parce qu'ils croient lä mériter et qu'ils seraient heureux de nous faire partager leur conviction : honnêtes gens est aujourd'hui synonyme de clérical; il n'y a que moi ! disait un personnage de comédie. Il n'y a qu'eux !

Dans les communes, la liste cléricale, tout entière de la main du curé, est connue fort tard. la veille des élections. Il n'est pas, en effet, de première importance, pour l'homme qui ne raisonne pas, qui vote ainsi que voterait son bœuf à sa place, de savoir le nom des gens pour les quels il doit voter. On lui dit: mets ce papier dans l'urne, il met le papier, son intelligence de cherche pas au-delà. Or, les électeurs qui se désintéressent des élections municipales sont nombreux. C'est sur ceux ci que comptent nos adversaires. Heureusement que le nombre diminue, de ces indifférents qui sont prêts à donner la France à leurs pires ennemis, sans se douter de ce qu'ils font. Nous le verrons le 4 mai prochain. La grande, l'énorme ficelle du dernier jour, consiste en ceci : le 3 mai, le jour, la nuit, ces messieurs partent en campagne, il n'y a pas ce jour-là baptême ou enterrement qui tienne, on repassera demain; en route pour distribuer les bulletins ! Quand on est assez heureux qu'on ne rencontre que les femmes à la maison, que les hommes sont aux champs, et que personne ne sait lire, on prie de montrer le bulletin reçu, s'il n'est pas vôtre, on le change habilement. "C'est bien celui-là qu'il faudra dire à votre mari de mettre dans l'urne, ma bonne et excellente femme", dit le pasteur doucereux à la bourgeoise, qui ne s'est pas aperçue de la supercherie, et le tour est joué. On passe à une autre ferme.

"Je suis bien dans l'obligation de voter pour monsieur X. - qui est un excellent homme, dit le fermier". - "Qu'à cela ne tienne, mon ami, dit le cléricafard, monsieur X. -- n'est point notre ennemi, nous l'inscrirons sur votre liste". L'on donne rendez-vous le lendemain, à la sortie de la messe de 6 heures, et l'on emmène te troupeau voter.

Cette course dure pendant toute la nuit. De mauvais plaisants racontent même au sujet de ces visites nocturnes l'histoire d'un jeune et fringant vicaire qui ne trouvant à la maison que la ménagère était entré reposer sa tête à la métairie. Après avoir... posé son bulletin, notre commissionnaire en élection ne retrouva plus sa soutane. Quelques méchants gamins peu respectueux des choses sacrées (cet âge est sans pitié, a dit La Fontaine) s'étaient emparés de la pelure ecclésiastique. Notre malheureux sans-culotte se trouva contraint et forcé de regagner le lendemain sa demeure dans le jupon de sa victime. Horreur!

SARCEL.

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