Cahier de Lucien Dodin père, page 36

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cépages américains - depuis longtemps phylloxérés - l'invasion du fléau - la chose du braconnier - destruction du gibier

Ensemble des fac-similé

Vendée républicaine samedi 13 septembre 1890

LES CÉPAGES AMÉRICAINS

Un vœu imprudent du Conseil général

Sous ce titre, on nous écrit d'une commune de l'arrondissement des Sables :

Les membres du Conseil général de la Vendée, dans la séance du mardi, 26 août, ont adopté le vœu suivant : * Qu'il plaise à monsieur le Ministre «de l'agriculture d'autoriser l'introduction des cépages américains dans les divers cantons de l'arrondissement des Sables-d'Olonne, après demande formulée individuellement par chacun d'eux». L'adoption de ce vœu dont le but évident est de contenter tout le monde, risque fort de déplaire à un grand nombre de propriétaires de vignobles. Le Ministre de l'agriculture, devant la presque impossibilité de connaître les désirs ou les besoins d'un canton - les conseils municipaux des communes consultées émettant souvent des opinions diverses — n'accepte presque jamais ce mode de procéder, et si autorisation il y a, elle sera accordée à l'arrondissement tout entier.

Or, si dans les cantons sud, depuis longtemps phylloxérés, l'introduction des vignes américaines, paraît être pour la reconstitution da vignobles une nécessité; l'intérêt des populations du nord semble être tout autre. Aucune tâche phylloxérique n'a été, en effet, constatée jusqu'à ce jour dans les cantons de Saint-Gilles-sur-Vie, Palluau, Challans, Beauvoir-sur-Mer, Noirmoutier et l'Ile-d'Yeu. La surface des terrains cultivés en vignes s'est accrue d'une façon considérable pendant les dernières années ; la plus-value du vin a été un stimulant énergique, et aujourd'hui, les agriculteurs commencent à être payés de leurs peines. Dans le bocage, les vignes sont situées à des distances souvent fort éloignées les unes des autres, il n'y a pas, comme dans les départements voisins, de fiefs de grande étendue; elles sont chacune protégées par des terriers, par des haies vives, épaisses et hautes, qui peuvent retarder dans une certaine mesure, l'invasion et la dissémination de l'insecte. Si le vœu, devait être adopté dans la teneur que le Conseil général lui a donné, peut-être aurions nous tort de crier, mais prenons garde et repoussons une faveur trop générale.

Le plant américain, il est bon de le rappeler, vît avec le phylloxera et le transporte avec lui. Les nouvelles plantations seront donc de fort dangereux voisins. Nos vignerons sont-ils disposés à arracher leurs vieux cépages ? Sont-ils prêts à faire de nouveaux essais de culture ou de traitement ? Nous ne le croyons pas. Si l'invasion du fléau peut être retardée de dix années, nous n'aurons pour notre part aucun regret et ferons plus tard connaissance avec le Riparia ou le Jacquez.

Il est bon de prévenir les propriétaires et de leur dire : Si vous ne vous défendez pas auprès des pouvoirs publics; avant quelques mois, et par mesure générale, vous serez, habitants de Palluau, de Saint-Gilles, de Challans, de Beauvoir-sur-Mer, de Noirmoutier, de l'Ile-d'Yeu, autorisés à planter des cépages américains, ou autrement dit, chacun de vous aura le droit de planter à coté de la vigne de son voisin, une vigne phylloxérée.

L'auteur de cette note a fait une démarche auprès de M. Aristide Batiot, le dévoué député de la Roche-sur-Yon et de M. le Préfet de la Vendée. Ils défendront l'un et l'autre nos intérêts, mais il serait bon que des pétitions leur fussent remises : elles donneraient plus de valeur à nos protestations.

HALLO. (Sarcel)

La Vendée républicaine

Les Sables, le 21 Septembre 1890

CAUSERIE DU DIMANCHE

CHASSE GARDÉE

Les défenses de chasse couvrent depuis les dernières années une étendue importante de l'arrondissement des Sables. Cela est fort gênant pour plus d'un.

On a débuté par la défense purement politique et nominale. Tu ne vas pas à la messe, tu ne chasseras pas sur ma terre, a dit l'un. Monsieur X... ne met pas de drapeau à sa fenêtre le jour du 14 Juillet, s'il se présente avec un fusil sur mes biens, a dit un autre à son métayer, tu le prieras de se retirer ; chacun chez soi. Puis il a fallu mettre un terme, dans les bourgs desservis par une gare de chemin de fer, à l'inondation des habitants des villes inconscients de la propriété rurale, débarquant en bandes nombreuses, faisant rafle de pouillards, sans souci des récoltes, piétinant les blés noirs, les choux et les trèfles, ouvrant de larges tranchées dans les haies, laissant grandes ouvertes les barrières, procédant comme en pays conquis, insolents au paysan désireux d'arrêter ces dégâts ruineux. Il est juste de mettre des empêchements à la chasse pratiquée dans de semblables conditions.

Qu'on supprime le droit de chasse aux personnes n'ayant aucun intérêt dans la région, cela s'explique : mais généraliser les défenses comme cela semble devoir se pratiquer aujourd'hui paraît une exagération regrettable. Le droit de chasse ressemble à beaucoup d'autres, il appartient a qui le paie. Or, le gibier n'appartient pas au cultivateur qui nourrit, conserve et défend les couvées sur le terrain arrosé de ses sueurs. Le petit propriétaire, le petit boutiquier des agglomérations rurales, payant impôts, patente, prestations, servant à l'entretien des chemins vicinaux et aux améliorations dont le propriétaire du sol bénéficie exclusivement, n'est-il pas un peu chez lui dans les fermes du voisinage cultivées par ses parents ou amis.

Nous trouvons normales les défenses faites aux braconniers massacrant à tort et à travers le gibier petit et gros pour aller le vendre au marché, et l'on a raison de ne pas permettre un semblable commerce chez soi. Mais, vraiment, l'instituteur sortant le soir après sa classe pour aller tuer une gibelotte commet-il de grands méfaits, et doit-on se montrer impitoyable pour ce modeste éducateur de la jeunesse ?

Il y a des défenses injustifiables. La propriété est fort morcelée dans certaines parties du bocage, les champs sont jetés de ci de là, mélangés, ayant des possesseurs variés ; les métairies d'un tenant sont rares. Dans ces conditions, le gros propriétaire englobe le petit. Celui-ci, pour une infinité de raisons ne peut ni se plaindre, ni protester, et l'on arrive ainsi à supprimer la chasse sur une étendue considérable ide terrain dont on ne possède parfois pas le tiers. En outre, les chemins étant impraticables pendant les longs mois pluvieux d'hiver, la chasse à courre est rendue impossible : le chasseur, entraîné par les chiens, étant contraint de traverser le champ où il lui est défendu de le mettre les pieds sous peine de procès.

Le propriétaire, coq de village quelconque, plein de morgue et de faconde, chasse non seulement sur ses biens, mais surtout sur ceux de ses voisins ; ce qui lui donne l'avantage de conserver le gibier sur ses terres et de quadrupler le périmètre de sa chasse.

Mais ces fantaisies féodales ont de mauvais côtés.

Le garde particulier installé en pleine ferme, agent direct de qui le paie, est là, placé comme espion du pauvre métayer. Cette surveillance de tous les instants du travailleur par le flegmard, est péniblement supportée ; on le craint comme la grêle, et si on ne l'aime pas davantage, vous n'en serez point surpris. Pas de gibier, pas de garde. Le fermier n'a donc aucun intérêt à élever perdrix, lièvres et lapins, au contraire. Il redoute d'ailleurs à l'égal du chasseur des villes, le propriétaire du sol qui passe au travers des récoltes et Jacques Bonhomme ne possède même pas la satisfaction mince de crier après lui. L'agriculture manque de bras, dit-on, et l'on s'en montre surpris. L'agriculteur fuit devant cette servitude à forme multiple : A-t-il tort ? En ville, si l'on crêve parfois de faim, on est au moins maître de soi, et l'Assistance est là pour recueillir les enfants.

Si le chasseur consciencieux, incertain de la carte du pays et peu I soucieux d'avoir des discussions avec des gardes ou avec des voisins désagréables et grincheux, préfère se priver absolument d'un plaisir et d'un exercice hygiénique fort apprécié, il n'en est pas ainsi du braconnier. Qui chasse par mesure d'hygiène, est d'ordinaire tireur fort bruyant, mais tireur maladroit, en tous les cas, modeste et content de peu.

Vous verrez donc rarement chez vous, messieurs les propriétaires, le chasseur bien élevé. Alors, oh ! alors, votre gibier devient la chose du braconnier. La perdrix peu effarouchée se laisse facilement cueillir la nuit, au feu : le lièvre trouve un collet dans chaque musse ; si bien que dans peu d'années votre propriété sera dépeuplée et vous ne pourrez plus tirer un seul coup de fusil chez vous. Les terres les plus riches en perdrix sont celles où naviguent chaque année le plus grand nombre de fusils. Cela sent le paradoxe, mais cela est, demandez-le aux vieux vendéens.

Devant cette pénurie de gibier, le propriétaire se plaint alors de son homme à plaque et lui ordonne de redoubler de rigueur. Il a tort, le service est trop bien fait, les champs sont trop bien gardés.

Combien j'approuve le propriétaire d'allure plus libérale, qui, impitoyable pour le marchand de gibier, laisse libres ses fermiers d'aller tuer, le dimanche, un perdreau que l'on mangera en famille ; faisant un large choix dans les fusils du voisinage, il permet à tous les amoureux du grand air, ménagers des moissons et des terriers d'aller s'esbattre librement dans ses buailles.

. Quand j'étais plus jeune, en ai-je | brûlé de la poudre en vain ! En ai-je éparpillé aux quatre coins de l'horizon des perdreaux ! Je leur faisais grand' peur. Je rentrais à la nuit, allégé de mes cartouches. Alors, si j'apercevais un guetteur agenouille derrière une haie, je m'écartais un instant de mon chemin pour aller tirer au milieu des perdrix le coup de fusil sauveur. Pan... pan... brou..... et le braconnier-chauffeur rentrait penaud au logis. Il me semblait avoir fait une bonne action, et voir dans les nuées, le grand Saint-Hubert m'applaudir.

Nous possédons dans notre Vendée et entre habitants de chacune de nos communes des divisions profondes et variées. Le propriétaire et le métayer, deux ennemis nés : le paysan et l'ouvrier, deux frères ennemis, bien prêts de s'entendre. Le monsieur qui assiste à la messe et celui qui n'y va point. Nous ajouterons bientôt à cette nomenclature, le chasseur qui chasse et celui qui ne chasse pas. Défiez-vous de ce dernier. Je ne connais pas de rancunes plus tenaces que les rancunes du chasseur en chambre.

J'entends déjà parler, par des gens jaloux d'un plaisir non permis, d'organisation illégale de sociétés pour la destruction du gibier. Il n'est pas besoin, hélas ! de se syndiquer pour cela. Messieurs les aristos, les enfants des laboureurs font depuis longtemps des chapelets avec les œufs des perdrix, gare maintenant au boisseau !

Sarcel

Samedi 4 octobre 1890

De Palluau à Barbâtre

LA CENDRE

Pour desservir les îles d'Yeu et de Noirmoutier, notre Conseil général, lassé des oiseux potins de la politique, vient de voter la construction d'un chemin de fer Decauville. Ce chemin de fer ne pourra transporter des bestiaux, mais rendra des services considérables aux voyageurs et aux denrées. Par contre-coup, il contribuera à faire une petite révolution (agricole) dans la partie du bocage voisin de la Garnache.Chaque année, on voit pendant le dernier mois que nous venons de traverser, s'aligner en longues files les lourds charriots des Danions chargés de | bois et de genêts se dirigeant du côté de Barbâtre. Arrivés là, ils échangent leurs cottrets gros comme le bras et la manche et ramènent, au retour, de lourdes provisions de cendre, dont ils fumeront les choux et les blés.

L'administration départementale voudra-elle permettre de semblables transports sur le trajet d'une voie ferrée? Nous en doutons, la route de Palluau à Fromentine est facile à dégrader et d'entretien coûteux. Combien faudrait-il de charretées de cendre pour briser un rail et pour faire dérailler le train ? Les agriculteurs qui savent calculer le prix de revient d'un engrais se consoleront vite ; la qualité des cendres est hypothétique, et de longtemps les phosphates seront de qualité supérieure et à meilleur marché, demandez-le plutôt aux membres de notre syndicat. La plupart de nos laboureurs ne l'ignorent point, mais depuis quelques années ils trouvent à vendre leurs fagots seulement dans le pays maraîchin et dans les îles où le bois manque et où la fumure abonde. Si les habitants du marais n'avaient pas la déplorable coutume de faire brûler le bouza, les bois du bocage trouveraient dans les cantons du littoral un débouché certain : malheureusement, il n'en est rien. Aussi, pouvons-nous le prévoir, dans un avenir peu éloigné, le maraîchin producteur de cendre, et le danion vendeur de bois, devront l'un et l'autre avoir recours à des intermédiaires pour trafiquer de leurs denrées. Alors, adieu les ventes faciles et rémunératrices. Ce jour-là, les gars de Saint-Christophe, de SaintPaul et de Falleron, n'auront aucune raison de se déplacer; les Barbâtrois mettront les cendres à fumer leurs prairies, à faire pousser leurs fèves.

«C'était pourtant bien commode» on s'en allait «à la cendre» on changeait son bois, et l'on revenait chargé plus qu'au départ, ayant déboursé seulement le prix d'une chopine de vin blanc ou d'une goutte d'eau-de-vie de betterave. On trimait comme des bêtes, nuit et jour, bonnes gens ! Les bœufs harassés par une longue route en plein soleil revenaient à l'étable éclopés et amaigris; il en crevait sur les chemins, parfois, ou bien même, un gars de la ferme «trop serré dans sa veste» tombait mort subitement sur la banquette à l'heure où le soleil disparaît derrière la dune, et l'attelage rentrait lentement et seul à la maison, mais «que voulez-vous, c'est là, la vie, les uns vivent, les autres meurent, et les plus heureux ne sont peut-être pas les vivants.»

Les chemins de fer, voyez-vous, dérangent beaucoup trop les habitudes du pauvre monde.

Sarcel

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