Déposer un brevet en 1950

Mon père était "inventeur", c'est à dire qu'il a longtemps vécu en exploitant ses inventions. Pour protéger les inventions, une des meilleures façon de faire est de déposer un brevet. Vous trouverez ici la liste des brevets déposés par Lucien Dodin.

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Un brevet

Déposer un brevet

Déposer un brevet, surtout à l'international, est une opération complexe, qu'un inventeur ne peut espérer mener à bien seul. Lucien Dodin a eu principalement recours aux service de la société Regimbeau, toujours en activité en 2020.

SGDG

La mention "Breveté SGDG" figure souvent sur les objets brevetés en France. On pense parfois qu'il s'agit d'un label prestigieux. En fait il signifie simplement "Sans garantie du gouvernement", et donc, au contraire, que le brevet, en soi, ne prouve rien sauf qu'il y a eu dépôt.

Annuités

Un brevet n'est valable que s'il est déposé dans les formes et si les annuités sont payées régulièrement. Vous trouverez ici le cahier de compte tenu par Christiane Dodin et indiquant les validités des différents brevets

Antériorités

Un brevet n'est valable - outre les questions administratives - que s'il décrit une invention ''nouvelle'. Savoir si quelque chose est nouveau est très difficile et n'est nullement indispensable au dépôt du brevet, sauf qu'il rends le brevet et ses frais inutile...

Un exemple: le brevet "Perfectionnement aux appareils photographiques"

En résumé, ce brevet décrit un viseur d'appareil photo assez ressemblant à celui de l'Alsaflex, mais utilisant trois miroirs. A l'époque le réflex utilisait principalement un système "à la Rolleiflex", avec visée par le dessus et donc image retournée. La liste complète avec le texte des brevets est ici. Il s'agit ici d'un projet simple, entre des partenaires se connaissant et habitués à ce genre de collaboration.

L'idée

Bien sûr, il faut déjà avoir l'idée, et construire un prototype. On ne peut pas breveter une idée, il faut breveter un dispositif mécanique. Ce dispositif n'a pas forcément été testé, mais, il doit au moins apparaître faisable.

Préparation du brevet

Il faut alors s'adresser à une société spécialisée, ici Regimbeau et lui proposer le brevet. Lucien travaillait déjà avec cette société et avait sans doute rencontré un de ses responsables, voici sa réponse, nous sommes le 15 Octobre 1946:

Je vous épargnerai les 7 pages sur papier pelure (doubles carbone) du projet et les trois pages de "bleus" des dessins.

Je ne dispose pas des lettres de Lucien, à l'époque il fallait ajouter des carbones et du papier pelure pour avoir des doubles, ce qui était pénible, et les pelures étaient fragiles et difficile à archiver.

Nous voici maintenant le 16 Décembre 1946, Regimbeau s'inquiète des antériorités apparues dans l'étude du brevet américain de télémètre, voisin du projet de réflex, et propose quelques corrections.

Évidemment, tout celà n'est pas gratuit, et le 23 Décembre il y a une facture:

Les points litigieux se précisent et le projet de brevet s'approche de la rédaction finale, nous sommes le 27 Décembre 1946:

Dépôt

Cette foi, ça y est. Sans doute à la suite d'une conversation téléphonique ou d'un télégramme, la demande de brevet est déposés le 27 Décembre (la lettre d'annonce ne date que du 7 Janvier 1947):

La date de dépôt est la plus importante, car c'est elle qui sert de date d’antériorité pour tous les brevets suivants, même à l'étranger.

Ensuite... rien ne se passe, sinon qu'il faut commencer à payer les annuités, et elles sont à payer d'avance, par exemple en 1949 on en est à la quatrième annuité:

Comme vous pouvez le remarquer, le montant de l'annuité (sans doute augmenté de la commission de l'intermédiaire) était de 800F de l'époque, à vue de nez 80 euros de 2013 (je suppose). Noter qu'un double de la lettre a été envoyé à la SAE, on peut donc supposer que les annuités étaient prises en charge par la SAE qui avait à l'époque l'exclusivité de l'exploitation des inventions de Lucien.

L'année suivante, les frais étaient passés à plus de 1000F!

Mais payer les annuités n'est pas tout. Il faut aussi exploiter le brevet, sinon il tombe dans le domaine public. Il faut au moins "tenter" de l'exploiter et Regimbeau se propose pour le faire (exploiter signifie ici trouver un industriel pour mettre le brevet en œuvre, pas mettre en œuvre soi-même). Mais là ça devient cher: 6000F!

Et le brevet, pendant ce temps? Et bien l'affaire suit son cours, au pas lent de l'administration, et c'est seulement le 22 Janvier 1954 que le dépôt est définitivement validé:

Et l'inventeur reçoit alors, enfin, le "diplôme", marque de sa qualité d'inventeur. La version française est assez banale. Elle se présente sous la forme d'une chemise en papier fort de 24 cm de large et de 33 cm de haut. La dernière page est vierge, la troisième contient des extraits de la réglementation, ainsi que les tarifs. La première est décorative et la deuxième résume l'opération. Le dossier contient bien sur une copie du texte du brevet.

Un brevet français est valable 20 ans, et les annuités sont progressives, supposant donc que l'exploitation a effectivement commencé à ce moment. Ici 2500F les 2ème, 3ème 4ème et 5ème années, 4500F les 5 années suivantes, 7000F de la 11ème à la 15ème année et 10000F jusqu'à la fin. En supposant qu'il faille enlever un zéro pour avoir la valeur en euros, la somme reste quand même conséquente. Voici les tarifs en cours.

Les américains ont un document plus joli :-). Le 17 Octobre 1950 était délivré le brevet correspondant:

Noter que les américains ont mis moins de temps que les français pour délivrer le certificat définitif. N'en déduisez pas qu'il est plus simple de déposer un dossier aux USA, tout le contraire, le dossier est trois ou quatre fois plus gros que le dossier français.

Notez la belle mention en bas de la page: "En témoignage de quoi j'ai apposé de ma main le sceau de l'Office des Brevets, dans la ville de Washington, ce dix-septième jour d'Octobre de l'année du seigneur mille neuf cent cinquante et de l'indépendance des États Unis d'Amérique cent et soixante-quinze".