Cahier de Lucien Dodin père, page 39

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très beaux livres de prix - dire hardiment - coqs de village

Ensemble des fac-similé

Distribution des prix, samedi 12 octobre 1890

Ecole de la Bloire (Distribution des prix)

Mes chers petits enfants, Dimanche 12 8bre 1890

Vos excellents maîtres, monsieur et madame Rondeau vont tout à l’heure vous distribuer de très beaux livres de prix. Vous ne les avez peut-être pas mérités, on vous les donnera quand même.

D’ordinaire, les Communes font ces frais-là pour leurs petits enfants. Ici l’on croit bon pour se faire aimer de vous, sans doute, de vous faire la guerre.

Donc une société de braves gens se cotise chaque année pour vous être agréable. On a dit pis que pendre des membres dont est composée cette société. Ils aiment en effet, beaucoup les petits enfants, mais ne les mangent point : on a exagéré. Vous devez être depuis longtemps déjà familiarisés avec leurs visages.

Ils s’intéressent à votre labeur. Vous leur devez beaucoup. Ils ne vous demandent rien en échange.

Vous me permettrez bien, en passant, de les remercier en votre nom.

Ils ne vous demandent rien, mais je sais ce qu’ils désirent et espèrent de vous : d’être aujourd’hui, en bons petits français, en bonnes et gentilles petites françaises que vous êtes, plus assidus aux classes, de bien apprendre à lire et à écrire, d’aimer davantage votre école (les murs en sont un peu nus, mais nous les meublerons), d’être un peu reconnaissants à votre institutrice si bonne et si méritante, à votre instituteur si dévoués de leurs cours. Vous leur rendriez ainsi à tous deux l’expérience moins dure, dans un pays où, vous le reconnaîtrez, ils n’ont pas tous les agréments.

Amusez-vous bien en dehors de l’école, courrez, criez, chantez à pleins poumons, soyez gais.

On reproche aux petits enfants de notre pays non seulement de manquer de gaîté et de vieillir trop tôt, mais, disons le mot, car je ne suis pas venu ici pour vous faire des compliments, d’être un peu sournois, et même parfois de manquer de franchise.

Ah ! Soyez francs, accoutumez-vous de bonne heure à dire hardiment et quoi qu’il arrive toute votre pensée. Les lâches seuls et les hypocrites savent mentir, et rappelez-vous que l’oppression des uns est faite tout entière de la lâcheté des autres.

Soyez francs, mais soyez gais, vous aurez assez de raisons, plus tard, de ne l’être point.

Enfants, nous avons de grandes ambitions, touchant vos personnes.

Quand vous sortirez d’ici, vous aimerez le travail "Le travail est ce qu’il y a de meilleur en ce monde, lui seul ne trompe pas, lui seul rend ce qu’on lui donne, lui seul par conséquent vaut qu’on l’aime passionnément".

Vous serez donc des hommes laborieux, ayant conscience de leur dignité, pleins de droiture, libres d’eux-même, maîtres chez eux.

Vous serez bons et complaisants à vos voisins. Vous n’imiterez pas ces coqs de village, ignorants, prétentieux, pleins de morgue ridicule, durs au pauvre monde, et dont vos parents ont trop soufferts.

Le cerveau vide de pensées, ils s’en vont, raides et engoncés dans leurs vestes. On dirait, à les voir marcher le dimanche, le Grand Turc se rendant à la mosquée. Mais ils réussissent mal à masquer la souplesse de leur échine.

Vous aurez, élèves de l’école de la Bloire, plus de liberté dans vos entournures.

Et vous, fillettes, vous deviendrez de bonnes ménagères, bien travailleuses, bien économes, vous tiendrez les comptes de la maison et durant les longues soirées d’hiver, vous ferez la lecture en famille. Vous serez la providence du foyer.

Vous serez aussi, les uns et les autres, respectueux à vos parents, aimez-les bien, vous leur devez tout, et vous pourrez leur rendre, quand ils seront vieux, une petite partie de ce qu’ils vous ont donné.

Soyez toujours, et surtout, de votre famille.

Alors, tous vos amis, connus et inconnus seront heureux de n’avoir pas perdu leur temps, ni mal placé leur intérêt, puisqu’en développant votre intelligence, ils auront conscience aussi d’avoir développé votre (bon) cœur.

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