Cahier de Lucien Dodin père, page 04

< Cahier de Lucien Dodin père, page 03 | Le cahier électoral de Lucien Dodin Père, index | Cahier de Lucien Dodin père, page 05 >

Loi sur l'instruction laïque et obligatoire y compris pour les filles - écoles de hameau (laïques) - la situation des médecins

Ensemble des fac-similé

Le Petit littoral 25 avril 1884

Les Lois sur l'Instruction

Nous recevons la lettre suivante :

Le 21 avril 1884.

Monsieur le Rédacteur,

Je vous serais obligé de publier quelque jour, dans les colonnes de votre excellent journal la loi du 28 mars 1882 ; à la campagne on ne la connaît pas, et l'on est persuadé qu'elle est une loi athée bonne, tout au plus, à élever des communards et des francs-maçons, gens qui, vous ne l'ignorez pas, mangent un prêtre à chacun de leurs repas. J'avais hier, au sujet de cette loi de défense sociale, un entretien avec un cultivateur de nos amis. Il comprit sans peine toute la grandeur du régime qui, non seulement permet aux parents, dont les fils sont bien doués, de les faire instruire, mais les oblige à leur ouvrir toutes les carrières qui pourront un jour leur procurer le bien-être et la libre disposition de leur conscience. Je lui appris qu'une loi met les communes, qui possèdent à plus de trois kilomètres de la mairie. une agglomération comprenant plus de 25 élèves des deux sexes, dans l'obligation de construire, en ce lieu, une école de hameau. Car, il est de toute nécessité que si l'on veut apprendre à lire, on en donne les moyens.

Le curé de la commune avait bien parlé en chaire d'une loi républicaine qui défendait aux enfants d'apprendre le catéchisme ; c'était de celle-ci que le pasteur avait voulu parler.

L'État ne pouvait imposer immédiatement aux communes l'obligation de construire des bâtiments coûteux, il devait leur venir en aide : aussi, se résolut-il à en établir à ses frais un grand nombre. Le Ministère de l'instruction publique accorda à la Vendée, dans ce but, une somme de 500.000 fr.

L'Administration préfectorale offrit à la commune que nous habitons deux écoles de hameau sur les fonds alloués par le ministère.

Refus de la municipalité.

"Mais alors, me disait mon paysan, c'est environ 25 ou 30.000 francs qu'on nous offrait et que nous serons désormais forcés de prendre dans nos poches. L'argent que l'État voulait nous donner était pris sur le produit des impôts, les impôts c'est nous qui les payons : ces 30.000 francs ont été donnés à une autre commune; nous en aurons donné notre part et nous serons contraints de les dépenser après avoir refusé de les accepter".

"Il faut avouer que nous avons été bien sots le jour où nous avons élu des Conseillers municipaux capables d'une semblable balourdise. Désormais nous aviserons".

Le paysan, le travailleur ne peut pas avoir de sentiments révolutionnaires ; il sait qu'aux révolutions il n'a rien à gagner, et que c'est toujours lui qui paie les pots cassés. Aussi, ne peut il pas comprendre que le Conseil municipal de Challans ou d'ailleurs s'insurge contre le gouvernement que la France s'est donné.

Sarcel

Mouvement du port des Sables-d'Olonne

(j'ai hésité à inclure cette partie, qui n'a pas de rapport direct avec notre sujet, mais puisqu'elle est là...)

ENTRÉES

  • 19 avril. — . Steamer Irwin, cap. Humphrey, venant de Swansea, chargé de briquettes de houille.
  • 20.-Goëlette française Moise, cap. Hermerel, venant de Farsund, chargé de rognes.
  • 21. —- Sloop Victor, cap. Fermé, venant de l’Aiguillon, au lest.
  • Lougre Stéphanie, cap. Bugeon. venant de $t Gilles, au lest.
  • Goélette norwégienne Jeannette,cap. Alexander venant de Christiania, chargé de bois.
  • 23. - Trois-mâts suédois Skatan, cap. Anderson, venant de Gothembourg, chargé de bois.

SORTIES

  • 22 avril. -- Trois-mâts norwégien Talisman, cap. Olsen, allant à New-York, au lest.

Bulletin de la Poissonnerie

23 avril

Il a été expédié ce jour 14.700 kilog. de poisson

 1500 Paris. 
 1500 Lyon. 
 2300 Marseille.
 900 Dijon.
 1200 Bordeaux,
 2500 Nantes.
 800  Suisse. 
 900 Belgique. 
 3100 Divers. 

Un docteur-médecin nous adresse la lettre suivante :

Monsieur le rédacteur, Dans votre numéro du 9 avril, à propos d'une pétition des médecins de la Loire-Inférieure et de la Vendée, présentée par M. Bourgeois, vous dites : "Que diantre ces médecins peuvent ils demander par l'intermédiaire de M. Bourgeois ? Quel est ce mystère ?

La crise ouvrière ne s'est point étendue, à nous. Nos doléances sont bien plus anciennes, et ce n'est pas d'aujourd'hui que nous nous plaignons. Jugez-en vous même.

Ne sommes-nous pas d'abord des gens à part, et comment voulez-vous que les choses aillent bien dans notre profession ? Notre rôle n'est-il pas d'apprendre à chacun comment on peut se dispenser de nos services ? Les leçons d'hygiène que nous distribuons en chemin, tout le long de notre vie, n'ont-elles pas pour but le bien-être et la santé de nos clients ? et si le but est atteint comment voulez-vous que nous ayons des malades ? Vous le voyez, nous sommes nous-mêmes les artisans de notre ruine.

Mais nous ne nous plaignons jamais qu'on nous écoute trop, et je vous demande pour un instant votre attention.

Chacun de vos lecteurs sait ce qui nous appartient en propre, qualités et défauts. Le docteur est le camarade du papa, le conseiller de la maman, l'ami des enfants ; c'est celui qu'on applaudit le moins mais qu'on consulte le plus; celui qui tient le moins de place à table et qui en tient le plus dans le train-train de la famille. Il se dérange journellement de son dîner pour un appel pressant; il est si complaisant. Il passe des heures entières près des malades désespérés; il est si charitable.

Il se lève la nuit pour une quinte de toux, pour une faiblesse; il est si dévoué; il n'est pas à lui, il est à vous. Toujours pressé, toujours attendu; le dévouement est sa raison d'être, la condition de son existence : il en vit donc. Il finit par en mourir. Un autre le remplace. Il en est de lui comme du rameau d'Ovide :

Uno avulso non deficit alter
Aureus.

(note de jdd: "S'il tombe un rameau d'or un autre le remplace".))

Le malheur est que l'épithète en rejet n'est pas de mise. Nous portions, autrefois, il est vrai, la cravate blanche et l'habit noir; mais pas plus autrefois que maintenant nous n'étions cousus d'or.

Cependant on reconnaît que les médecins ont l'esprit net et judicieux; qu'ils possèdent des notions étendues dans les sciences les plus variées, qu'ils prévoient les découvertes et sont des vulgarisateurs utiles pour les méthodes nouvelles; ce sont des amis du progrès. Qu'ils sortent de leur profession, ils ont toutes les activités et toutes les audaces; explorations lointaines, politique agriculture, génie civil, ils ont tout illustré. Mais pour ne parler que des services publics rendus par eux dans l'étendue du département que ne leur demande-t-on pas ?

Une épidémie comme celle qui a sévi à la Roche survient-elle dans une caserne. c'est près d'eux que la municipalité, la préfecture et les architectes viennent prendre le mot d'ordre. On leur demande leur avis, mais on ne leur parle point d'honoraires.

Pendant ce temps l'hôpital s'encombre de typhiques ou de varioleux, il faut vivre, tous les jours une heure au moins, dans un lieu ou le plus brave de nos clients n'oserait pénétrer, de peur d'introduire la maladie contagieuse dans sa famille; qu'on fasse appel à notre concours et nous sommes prêts, nous nous offrons, et ce devoir professionnel ne nous trouve jamais en défaut. Quel paiement nous offre-t-on pour les services d'hôpitaux ? C'est dérisoire : et dernièrement on a vu un vieux médecin en chef d'un hôpital, n'ayant pas d'autre retraite, venir terminer ses jours dans l'hospice qu'il avait dirigé toute sa vie.

Les compagnies d'assurance nous appellent en témoignage touchant la santé de leurs clients. Il nous faut dire la vérité, et garder le secret de nos malades. Le client ne nous paie pas et la compagnie fort mal. Par contre, si un événement subit impossible à prévoir, vient interrompre le paiement des primes, nous sommes déclarés responsables et nous payons pour le client décédé. Tel de nos confrères s'est vu condamne dans une affaire de ce genre à 40,000 francs de dommages intérêts envers la compagnie d'assurance, alors que son certificat ne lui avait pas été payé.

Aujourd'hui que la question des écoles est à l'ordre du jour, telle maison est humide, celle-ci est trop basse d'étage, celle-ci trop étroite et sans lumière; il faut un rapport qui ne sente pas son origine administrative ; ou bien encore, à tous ces groupes d'enfants épars sur la surface du département, dont quelques-uns sont éloignés de tout centre important, il faut des règles d'hygiène dont l'observation doit être surveillée, les médecin le moins éloigné est prié d'inspecter ces petites populations d'enfants où les maladies contagieuses auraient produit des ravages sérieux. À qui peut-il refuser des services? on l'emploie donc; quant à le payer, c'est autre chose !

Vaccinations, gratuites, certificats administratifs, gratuits; soins aux familles des gendarmes, souvent gratuits; certificats de nourrice gratuits.

Nous ayons assez souvent des rapports avec la justice, et c'est là qu'éclate la reconnaissance de la société envers nous. Quand elle nous demande, la justice nous écoute avec la plus scrupuleuse religion, nous sommes des experts et non des témoins ; la déposition du docteur est, de toutes celles qui s'entendent en cours d'assises, la plus grave et la plus décisive pour le sort de l'accusé; sa parole précède et dicte souvent l'arrêt des juges. Mais faut-il passer à la caisse, nous ne sommes plus des experts; nous sommes de simples témoins.

On exhume le tarif de l'an XI et votre compte est vite dressé.

Un rapport médico-légal pour un cas d'assassinat demande toujours plusieurs jours d'études, et l'on n'en sera pas étonné si on songe que des jugements en première instance demandent souvent huit jours de réflexion aux juges. Le cas ici est autrement sérieux que dans un cas de mur mitoyen : il ne s'agit pas là d'une moitié de mur. Il y va d'une tête tout entière. On nous inscrit pour 3 fr. ; c'est à peu près le prix de la journée d'un portier du tribunal.

Une autopsie est taxée 5 fr.; c'est le prix d'un garçon charcutier qui connaît son métier.

Les courses du médecin accompagnant la justice, offrent un phénomène plus curieux. Elles sont payées un prix qui ne suffirait pas au conducteur lui-même de ces messieurs, quand ils sont en location.

C'est bien autre chose en matière administrative; on paye ce que l'on veut, et quant on veut. Encore est-il sage de ne pas désobéir aux réquisitions d'où qu'elles viennent, Pour la première on vous gratifiera d'une amende ; mais s'il y a récidive dans les six mois, ce sera la prison.

Je vous fais grâce des difficultés mises au paiement de ces sortes d'honoraires. L'administration des domaines et du timbre a des détours inconnus. Beaucoup d'entre nous abandonnent le montant de leurs honoraires de justice à cause du temps qu'il faut perdre pour les obtenir.

Il n'est pas de collectivité, État, département ou commune, qui ne nous demande nos services et ne tâche de les avoir gratis.

Les bureaux de bienfaisance comptent sur nous et ne nous offrent rien ; beaucoup trouvent que nous sommes trop honorés, et il y la quatre ans encore, la loi ne nous admettait pas en tant que médecins, dans les commissions administratives de ses bureaux et des hospices.

Il y a une assistance judiciaire en France dont on fait le plus grand cas; cela se conçoit aisément dans les pays où l'égalité est un dogme. Mais voyez ou elle conduit

Un pauvre diable est arrêté pour mendicité ; on le conduit en voiture au dépôt de l'arrondissement.

Pour cela le budget a prévu des crédits pour indemniser le conducteur requis par la gendarmerie, elle couvrira les frais de justice qui amèneront une condamnation à trois jours de prison. La loi a réglé et ordonné, elle paiera tous les mouvements de son personnel ; il y a, en ce cas, assistance judiciaire; or, il n'y a pas d'assistance médicale. Soyez pauvres, si vous ne pouvez mieux être, l'État vous reconnaît officiellement mais ne soyez pas malade ; l'indigent malade est un inconnu pour l'État, pour le département et pour les communes ; ceci particulièrement en Vendée.

Il n'est pas jusqu'aux Sociétés de Secours Mutuels qui, fondées et dirigées d'abord par nous, ne cherchent aujourd'hui à échapper au paiement de nos services.

La profession étant honorée, tout le monde veut en être; rebouteurs, curés et bonnes sœurs prennent part au soulagement de la pauvre espèce humaine; celui-là termine les fractures incomplètes; celui-ci s'occupe avec succès des maladies des femmes, et ces dernières manquant de logique, débitent du quinquina au lieu de pousser à la vente de l'eau de Lourdes; tout cela sous l'œil indifférent de l'autorité qui ne poursuit jamais d'office, bien que l'exercice illégal de la médecine soit prévu et puni par les lois.

Enfin, l'annonce flamboyante et grotesque, transformée en consultation, mène les badauds å l'officine du coin et quand le client est embarrassé, le pharmacien se charge de tirer les gens d'embarras.

Cela est entré dans les mœurs.

En revanche, un interne en médecine des hôpitaux de Paris n'est pas admis à faire recevoir sa note d'honoraires devant la justice et les juges de Bressuire condamnent un autre interne remplaçant un docteur dans sa clientèle, pour exercice illégal de la médecine, cela dans un pays ou les sorciers et les rebouteurs pullulent et sont tolérés.

Mais ce n'est pas tout, et le plus drôle assuré ment est ceci.

C'est tout juste si nous héritons de nos parents ; car si la parenté s'éloigne, pour être autorisé à hériter, on exige que nous n'ayons pas soigné le malade dans sa dernière maladie. La loi qui ne peut rien contre les ecclésiastiques a reconnu avec sagesse que nous étions capables des tentatives les plus éhontées ; elle n'a pas voulu juger dans l'espèce; elle a proscrit en bloc tout avantage testamentaire au médecin on aux familles du médecin qui a assisté le mourant. On ne nous accusera pas de captation !

À ces causes de souffrances s'en joignent bien d'autres, mais elles sont le fait de nos propres fautes et je n'ai pas à vous en parler.

C'est cette situation que la pétition dont vous avez parlé a pour but de dénoncer au Gouvernement.

Nous demandons la révision des lois qui régissent la médecine. Cette révision ne nous ramènera pas l'âge d'or, nous le savons, mais si les Chambres veulent bien faire porter les réformes dans les lois qui nous gouvernent, nous aurons bientôt fait disparaître les autres causes de nos souffrances. Car nous avons aussi nos misères, et le public est le dernier à s'en douter.

Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.

UN DOCTEUR AMI.

(D Mignen)

< Cahier de Lucien Dodin père, page 03 | Le cahier électoral de Lucien Dodin Père, index | Cahier de Lucien Dodin père, page 05 >


Page vue fois depuis le 14 mai 2020