Andromaque-acte4

===Acte quatrième===

<div class="Texte" id="paragraphe-94">

</div> Scène I

<div class="Texte" id="paragraphe-95">

Andromaque, Céphise

Céphise

Ah! je n'en doute point: c'est votre époux, Madame,

C'est Hector qui produit ce miracle en votre âme.

Il veut que Troie encor se puisse relever

Avec cet heureux fils qu'il vous fait conserver.

Pyrrhus vous l'a promis. Vous venez de l'entendre,

Madame: il n'attendait qu'un mot pour vous le rendre.

Croyez-en ses transports: père, sceptre, alliés,

Content de votre coeur, il met tout à vos pieds.

Sur lui, sur tout son peuple il vous rend souveraine.

Est-ce là ce vainqueur digne de tant de haine?

Déjà contre les Grecs plein d'un noble courroux,

Le soin de votre fils le touche autant que vous

Il prévient leur fureur, il lui laisse sa garde;

Pour ne pas l'exposer, lui-même il se hasarde.

Mais tout s'apprête au temple, et vous avez promis...

Andromaque

Oui, je m'y trouverai. Mais allons voir mon fils.

Céphise

Madame, qui vous presse? Il suffit que sa vue

Désormais à vos yeux ne soit plus défendue.

Vous lui pourrez bientôt prodiguer vos bontés,

Et vos embrassements ne seront plus comptés.

Quel plaisir d'élever un enfant qu'on voit croître,

Non plus comme un esclave élevé pour son maître,

Mais pour voir avec lui renaître tant de rois!

Andromaque

Céphise, allons le voir pour la dernière fois.

Céphise

Que dites-vous? O dieux!

Andromaque

O ma chère Céphise,

Ce n'est point avec toi que mon coeur se déguise.

Ta foi, dans mon malheur, s'est montrée à mes yeux;

Mais j'ai cru qu'à mon tour tu me connaissais mieux.

Quoi donc? as-tu pensé qu'Andromaque infidèle

Pût trahir un époux qui croit revivre en elle,

Et que de tant de morts réveillant la douleur,

Le soin de mon repos me fît troubler le leur?

Est-ce là cette ardeur tant promise à sa cendre?

Mais son fils périssait; il l'a fallu défendre.

Pyrrhus en m'épousant s'en déclare l'appui;

Il suffit: je veux bien m'en reposer sur lui.

Je sais quel est Pyrrhus: violent, mais sincère,

Céphise, il fera plus qu'il n'a promis de faire.

Sur le courroux des Grecs je m'en repose encor:

Leur haine va donner un père au fils d'Hector,

Je vais donc, puisqu'il faut que je me sacrifie,

Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie;

Je vais, en recevant sa foi sur les autels,

L'engager à mon fils par des noeuds immortels.

Mais aussitôt ma main, à moi seule funeste,

D'une infidèle vie abrégera le reste,

Et sauvant ma vertu, rendra ce que je doi

A Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi.

Voilà de mon amour l'innocent stratagème,

Voilà ce qu'un époux m'a commandé lui-même;

J'irai seule rejoindre Hector et mes aïeux.

Céphise, c'est à toi de me fermer les yeux.

Céphise

Ah! ne prétendez pas que je puisse survivre...

Andromaque

Non, non, je te défends, Céphise de me suivre.

Je confie à tes soins mon unique trésor.

Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d'Hector.

De l'espoir des Troyens seule dépositaire,

Songe à combien de rois tu deviens nécessaire.

Veille auprès de Pyrrhus; fais-lui garder sa foi:

S'il le faut, je consens qu'on lui parle de moi;

Fais-lui valoir l'hymen où je me suis rangée,

Dis-lui qu'avant ma mort je lui fus engagée,

Que ses ressentiments doivent être effacés,

Qu'en lui laissant mon fils, c'est l'estimer assez.

Fais connaître à mon fils les héros de sa race,

Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace:

Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté,

Plutôt ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été;

Parle-lui tous les jours des vertus de son père;

Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère.

Mais qu'il ne songe plus, Céphise, à nous venger:

Nous lui laissons un maître, il le doit ménager.

Qu'il ait de ses aïeux un souvenir modeste:

Il est du sang d'Hector, mais il en est le reste;

Et pour ce reste enfin j'ai moi-même, en un jour,

Sacrifié mon sang, ma haine, et mon amour.

Céphise

Hélas!

Andromaque

Ne me suis point, si ton coeur en alarmes

Prévoit qu'il ne pourra commander à tes larmes.

On vient. Cache tes pleurs, Céphise, et souviens-toi

Que le sort d'Andromaque est commis à ta foi.

C'est Hermione. Allons, fuyons sa violence.

</div> Scène II

<div class="Texte" id="paragraphe-96">

Hermione, Cléone

Cléone

Non, je ne puis assez admirer ce silence.

Vous vous taisez, Madame, et ce cruel mépris

N'a pas du moindre trouble agité vos esprits!

Vous soutenez en paix une si rude attaque,

Vous qu'on voyait frémir au seul nom d'Andromaque!

Vous qui sans désespoir ne pouviez endurer

Que Pyrrhus d'un regard la voulût honorer!

Il l'épouse, il lui donne, avec son diadème,

La foi que vous venez de recevoir vous-même,

Et votre bouche encor, muette à tant d'ennui,

N'a pas daigné s'ouvrir pour se plaindre de lui?

Ah! que je crains, Madame, un calme si funeste,

Et qu'il vaudrait bien mieux...

Hermione

Fais-tu venir Oreste?

Cléone

Il vient, Madame, il vient, et vous pouvez juger

Que bientôt à vos pieds il allait se ranger;

Prêt à servir toujours sans espoir de salaire,

Vos yeux ne sont que trop assurés de lui plaire.

Mais il entre.

</div> Scène III

<div class="Texte" id="paragraphe-97">

Oreste, Hermione, Cléone

Oreste

Ah! Madame! est-il vrai qu'une fois<br /> Oreste en vous cherchant obéisse à vos lois?<br /> Ne m'a-t-on point flatté d'une fausse espérance?<br /> Avez-vous en effet souhaité ma présence?<br /> Croirai-je que vos yeux, à la fin désarmés,<br /> Veulent...

Hermione

Je veux savoir, Seigneur, si vous m'aimez.

Oreste

Si je vous aime? ô dieux! Mes serments, mes parjures,<br /> Ma fuite, mon retour, mes respects, mes injures,<br /> Mon désespoir, mes yeux de pleurs toujours noyés,<br /> Quels témoins croirez-vous, si vous ne les croyez?

Hermione

Vengez-moi, je crois tout.

Oreste Eh bien! allons, Madame:<br /> Mettons encore un coup toute la Grèce en flamme;<br /> Prenons, en signalant mon bras et votre nom,<br /> Vous, la place d'Hélène, et moi, d'Agamemnon.<br /> De Troie en ce pays réveillons les misères,<br /> Et qu'on parle de nous ainsi que de nos pères.<br /> Partons, je suis tout prêt.

Hermione

Non, Seigneur, demeurons:<br /> Je ne veux pas si loin porter de tels affronts.<br /> Quoi! de mes ennemis couronnant l'insolence,<br /> J'irais attendre ailleurs une lente vengeance?<br /> Et je m'en remettrais au destin des combats,<br /> Qui peut-être à la fin ne me vengerait pas?<br /> Je veux qu'à mon départ toute l'Epire pleure.<br /> Mais si vous me vengez, vengez-moi dans une heure.<br /> Tous vos retardements sont pour moi des refus.<br /> Courez au temple. Il faut immoler...

Oreste

Qui?

Hermione

Pyrrhus.

Oreste

Pyrrhus, Madame!

Hermione

Eh quoi! votre haine chancelle?<br /> Ah! courez, et craignez que je ne vous rappelle.<br /> N'alléguez point des droits que je veux oublier;<br /> Et ce n'est pas à vous à le justifier.

Oreste

Moi, je l'excuserais? Ah! vos bontés, Madame,<br /> Ont gravé trop avant ses crimes dans mon âme.<br /> Vengeons-nous, j'y consens, mais par d'autres chemins:<br /> Soyons ses ennemis, et non ses assassins;<br /> Faisons de sa ruine une juste conquête.<br /> Quoi! pour réponse aux Grecs porterai-je sa tête?<br /> Et n'ai-je pris sur moi le soin de tout l'Etat,<br /> Que pour m'en acquitter par un assassinat?<br /> Souffrez, au nom des dieux, que la Grèce s'explique,<br /> Et qu'il meure chargé de la haine publique.<br /> Souvenez-vous qu'il règne, et qu'un front couronné...

Hermione

Ne vous suffit-il pas que je l'ai condamné?<br /> Ne vous suffit-il pas que ma gloire offensée<br /> Demande une victime à moi seule adressée;<br /> Qu'Hermione est le prix d'un tyran opprimé;<br /> Que je le hais; enfin, Seigneur, que je l'aimai?<br /> Je ne m'en cache point: l'ingrat m'avait su plaire,<br /> Soit qu'ainsi l'ordonnât mon amour ou mon père,<br /> N'importe; mais enfin réglez-vous là-dessus.<br /> Malgré mes voeux, Seigneur, honteusement déçus,<br /> Malgré la juste horreur que son crime me donne,<br /> Tant qu'il vivra, craignez que je ne lui pardonne.<br /> Doutez jusqu'à sa mort d'un courroux incertain:<br /> S'il ne meurt aujourd'hui, je puis l'aimer demain.

Oreste

Eh bien! Il faut le perdre, et prévenir sa grâce;<br /> Il faut... Mais cependant que faut-il que je fasse?<br /> Comment puis-je si tôt servir votre courroux?<br /> Quel chemin jusqu'à lui peut conduire mes coups?<br /> A peine suis-je encore arrivé dans l'Epire,<br /> Vous voulez par mes mains renverser un empire;<br /> Vous voulez qu'un roi meure, et pour son châtiment<br /> Vous ne donnez qu'un jour, qu'une heure, qu'un moment!<br /> Aux yeux de tout son peuple, il faut que je l'opprime!<br /> Laissez-moi vers l'autel conduire ma victime,<br /> Je ne m'en défends plus; et je ne veux qu'aller<br /> Reconnaître la place où je dois l'immoler.<br /> Cette nuit je vous sers, cette nuit je l'attaque.

Hermione

Mais cependant, ce jour, il épouse Andromaque!<br /> Dans le temple déjà le trône est élevé,<br /> Ma honte est confirmée, et son crime achevé.<br /> Enfin qu'attendez-vous? Il vous offre sa tête:<br /> Sans gardes, sans défense, il marche à cette fête;<br /> Autour du fils d'Hector il les fait tous ranger;<br /> Il s'abandonne au bras qui me voudra venger.<br /> Voulez-vous malgré lui prendre soin de sa vie?<br /> Armez, avec vos Grecs, tous ceux qui m'ont suivie;<br /> Soulevez vos amis, tous les miens sont à vous:<br /> Il me trahit, vous trompe, et nous méprise tous.<br /> Mais quoi? déjà leur haine est égale à la mienne:<br /> Elle épargne à regret l'époux d'une Troyenne.<br /> Parlez: mon ennemi ne vous peut échapper,<br /> Ou plutôt il ne faut que les laisser frapper.<br /> Conduisez ou suivez une fureur si belle;<br /> Revenez tout couvert du sang de l'infidèle;<br /> Allez: en cet état soyez sûr de mon coeur.

Oreste

Mais, Madame, songez...

Hermione

Ah! c'en est trop, Seigneur.<br /> Tant de raisonnements offensent ma colère.<br /> J'ai voulu vous donner les moyens de me plaire,<br /> Rendre Oreste content; mais enfin je vois bien<br /> Qu'il veut toujours se plaindre, et ne mériter rien.<br /> Partez: allez ailleurs vanter votre constance,<br /> Et me laissez ici le soin de ma vengeance.<br /> De mes lâches bontés mon courage est confus,<br /> Et c'est trop en un jour essuyer de refus.<br /> Je m'en vais seule au temple où leur hymen s'apprête,<br /> Où vous n'osez aller mériter ma conquête.<br /> Là, de mon ennemi je saurai m'approcher,<br /> Je percerai le coeur que je n'ai pu toucher,<br /> Et mes sanglantes mains, sur moi-même tournées,<br /> Aussitôt, malgré lui, joindront nos destinées;<br /> Et tout ingrat qu'il est, il me sera plus doux<br /> De mourir avec lui que de vivre avec vous.

Oreste

Non, je vous priverai de ce plaisir funeste,<br /> Madame: il ne mourra que de la main d'Oreste.<br /> Vos ennemis par moi vont vous être immolés,<br /> Et vous reconnaîtrez mes soins, si vous voulez. ''' Hermione'''

Allez. De votre sort laissez-moi la conduite,<br /> Et que tous vos vaisseaux soient prêts pour notre fuite.

</div>

Scène IV

<div class="Texte" id="paragraphe-98">

Hermione, Cléone

Cléone

Vous vous perdez, Madame, et vous devez songer...

Hermione

Que je me perde ou non, je songe à me venger.

Je ne sais même encor, quoi qu'il m'ait pu promettre,

Sur d'autres que sur moi si je dois m'en remettre:

Pyrrhus n'est pas coupable à ses yeux comme aux miens,

Et je tiendrais mes coups bien plus sûrs que les siens.

Quel plaisir de venger moi-même mon injure,

De retirer mon bras teint du sang du parjure,

Et pour rendre sa peine et mes plaisirs plus grands,

De cacher ma rivale à ses regards mourants!

Ah! si du moins Oreste, en punissant son crime,

Lui laissait le regret de mourir ma victime!

Va le trouver: dis-lui qu'il apprenne à l'ingrat

Qu'on l'immole à ma haine, et non pas à l'Etat.

Chère Cléone, cours: ma vengeance est perdue

S'il ignore en mourant que c'est moi qui le tue.

Cléone

Je vous obéirai! Mais qu'est-ce que je voi?

O dieux! qui l'aurait cru, Madame? C'est le roi!

Hermione

Ah! cours après Oreste; et dis-lui, ma Cléone,

Qu'il n'entreprenne rien sans revoir Hermione!

</div> Scène V

<div class="Texte" id="paragraphe-99">

Pyrrhus, Hermione, Phoenix

Pyrrhus

Vous ne m'attendiez pas, Madame, et je vois bien

Que mon abord ici trouble votre entretien.

Je ne viens point, armé d'un indigne artifice,

D'un voile d'équité couvrir mon injustice:

Il suffit que mon coeur me condamne tout bas,

Et je soutiendrais mal ce que je ne crois pas.

J'épouse une Troyenne. Oui, Madame, et j'avoue

Que je vous ai promis la foi que je lui voue.

Un autre vous dirait que dans les champs troyens

Nos deux pères sans nous formèrent ces liens,

Et que sans consulter ni mon choix ni le vôtre,

Nous fûmes sans amour engagés l'un à l'autre;

Mais c'est assez pour moi que je me sois soumis.

Par mes ambassadeurs mon coeur vous fut promis;

Loin de les révoquer, je voulus y souscrire:

Je vous vis avec eux arriver en Epire,

Et quoique d'un autre oeil l'éclat victorieux

Eût déjà prévenu le pouvoir de vos yeux,

Je ne m'arrêtai point à cette ardeur nouvelle;

Je voulus m'obstiner à vous être fidèle:

Je vous reçus en reine, et jusques à ce jour

J'ai cru que mes serments me tiendraient lieu d'amour.

Mais cet amour l'emporte, et par un coup funeste,

Andromaque m'arrache un coeur qu'elle déteste.

L'un par l'autre entraînés, nous courons à l'autel

Nous jurer malgré nous un amour immortel.

Après cela, Madame, éclatez contre un traître,

Qui l'est avec douleur, et qui pourtant veut l'être.

Pour moi, loin de contraindre un si juste courroux,

Il me soulagera peut-être autant que vous.

Donnez-moi tous les noms destinés aux parjures:

Je crains votre silence, et non pas vos injures;

Et mon coeur, soulevant mille secrets témoins,

M'en dira d'autant plus que vous m'en direz moins.

Hermione

Seigneur, dans cet aveu dépouillé d'artifice,

J'aime à voir que du moins vous vous rendiez justice,

Et que voulant bien rompre un noeud si solennel,

Vous vous abandonniez au crime en criminel.

Est-il juste, après tout, qu'un conquérant s'abaisse

Sous la servile loi de garder sa promesse?

Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter;

Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter.

Quoi? sans que ni serment ni devoir vous retienne,

Rechercher une Grecque, amant d'une Troyenne?

Me quitter, me reprendre, et retourner encor

De la fille d'Hélène à la veuve d'Hector,

Couronner tour à tour l'esclave et la princesse,

Immoler Troie aux Grecs, au fils d'Hector la Grèce?

Tout cela part d'un coeur toujours maître de soi,

D'un héros qui n'est point esclave de sa foi.

Pour plaire à votre épouse, il vous faudrait peut-être

Prodiguer les doux noms de parjure et de traître.

Vous veniez de mon front observer la pâleur,

Pour aller dans ses bras rire de ma douleur.

Pleurante après son char vous voulez qu'on me voie;

Mais, Seigneur, en un jour ce serait trop de joie;

Et sans chercher ailleurs des titres empruntés,

Ne vous suffit-il pas de ceux que vous portez?

Du vieux père d'Hector la valeur abattue

Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,

Tandis que dans son sein votre bras enfoncé

Cherche un reste de sang que l'âge avait glacé;

Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée;

De votre propre main Polyxène égorgée

Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous:

Que peut-on refuser à ces généreux coups!

Pyrrhus

Madame, je sais trop à quels excès de rage

La vengeance d'Hélène emporta mon courage.

Je puis me plaindre à vous du sang que j'ai versé;

Mais enfin je consens d'oublier le passé.

Je rends grâces au ciel que votre indifférence

De mes heureux soupirs m'apprenne l'innocence.

Mon coeur, je le vois bien, trop prompt à se gêner,

Devait mieux vous connaître et mieux s'examiner.

Mes remords vous faisaient une injure mortelle.

Il faut se croire aimé pour se croire infidèle.

Vous ne prétendiez point m'arrêter dans vos fers:

Je crains de vous trahir, peut-être je vous sers.

Nos coeurs n'étaient point faits dépendants l'un de l'autre;

Je suivais mon devoir, et vous cédiez au vôtre;

Rien ne vous engageait à m'aimer en effet.

Hermione

Je ne t'ai point aimé, cruel? Qu'ai-je donc fait?

J'ai dédaigné pour toi les voeux de tous nos princes;

Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces;

J'y suis encor, malgré tes infidélités,

Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés.

Je leur ai commandé de cacher mon injure;

J'attendais en secret le retour d'un parjure;

J'ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,

Tu me rapporterais un coeur qui m'était dû.

Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle?

Et même en ce moment où ta bouche cruelle

Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,

Ingrat, je doute encor si je ne t'aime pas.

Mais, Seigneur, s'il le faut, si le ciel en colère

Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,

Achevez votre hymen, j'y consens; mais du moins

Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins.

Pour la dernière fois je vous parle peut-être.

Différez-le d'un jour, demain, vous serez maître...

Vous ne répondez point? Perfide, je le voi:

Tu comptes les moments que tu perds avec moi!

Ton coeur, impatient de revoir ta Troyenne,

Ne souffre qu'à regret qu'un autre t'entretienne.

Tu lui parles du coeur, tu la cherches des yeux.

Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux,

Va lui jurer la foi que tu m'avais jurée,

Va profaner des dieux la majesté sacrée.

Ces dieux, ces justes dieux n'auront pas oublié

Que les mêmes serments avec moi t'ont lié.

Porte au pied des autels ce coeur qui m'abandonne,

Va, cours; mais crains encor d'y trouver Hermione.

</div> Scène VI

<div class="Texte" id="paragraphe-100">

Pyrrhus, Phoenix

Phoenix

Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger

Une amante en fureur qui cherche à se venger.

Elle n'est en ces lieux que trop bien appuyée:

La querelle des Grecs à la sienne est liée;

Oreste l'aime encore, et peut-être à ce prix...

Pyrrhus

Andromaque m'attend. Phoenix, garde son fils.

</div>